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Concours de nouvelles 2025

Dans le cadre des Nuits de la lecture 2025, la médiathèque de la Canopée a organisé un concours d’écriture de nouvelles, dont voici les consignes : rédiger une très courte nouvelle, dactylographiée en Times New roman 12, interligne 1,5, en un maximum de 8000 caractères (espaces compris) au format A4. Le sujet : Nous sommes dans… Continuer de lire Concours de nouvelles 2025

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Concours de nouvelles 2025

Dans le cadre des Nuits de la lecture 2025, la médiathèque de la Canopée a organisé un concours d’écriture de nouvelles, dont voici les consignes : rédiger une très courte nouvelle, dactylographiée en Times New roman 12, interligne 1,5, en un maximum de 8000 caractères (espaces compris) au format A4. Le sujet : Nous sommes dans… Continue reading Concours de nouvelles 2025
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Concours de nouvelles 2024

Dans le cadre des Nuits de la lecture 2024, la médiathèque de la Canopée a organisé son premier concours d’écriture de nouvelles autour de la thématique du corps. Les consignes : rédiger une très courte nouvelle, dactylographiée en Times New roman 12, en un maximum de 1 feuille recto/verso au format A4. Le thème :… Continue reading Concours de nouvelles 2024
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Quatre nouvelles – Bifrost numéro 110

La nouvelle livraison de la revue des mondes imaginaires éditée par les éditions Le Bélial’, Bifrost,  arrive dans toutes les bonnes boites à lettres et quelques librairies au goût sûr et orienté vers les mauvais genres. Ceux qu’on préfère. Le numéro est consacré à l’auteur gallois Alastair Reynolds qui a récemment fait une entrée remarquée et attendue dans le catalogue des romans publiés par l’éditeur avec la parution en début d’année de l’excellent Eversion. Du côté des nouvelles proposées, encore une fois, les textes sont de très bon niveau, et on y retrouve des auteurs « maison » : Ken Liu, Ian R. MacLeod, Olivier Caruso et Alastair Reynolds.

Idoles – Ken Liu

Voilà un texte que j’avais lu lors de sa publication en VO dans l’anthologie Made to Order de Jonathan Strahan, et déjà chroniqué sur ce blog. Je vous renvoie donc à la chronique originale.  C’est du Ken Liu, c’est excellent, et c’est traduit par Pierre-Paul Durastanti, comme d’habitude.

Bien-aimé – Ian R. MacLeod

Le second texte invite un auteur lui-aussi déjà plusieurs fois publié par l’éditeur, notamment avec la nouvelle La Viandeuse dans le numéro 102 de la revue, texte qui avait fait sensation et gagné le prix des lecteurs, ainsi que dans la collection Une Heure-Lumière avec Poumon Vert et Isabel des feuilles mortes. Bien-aimé est un texte très court, écrit au présent et à la seconde personne du singulier, un tutoiement qui lui donne des airs de chanson rock des années 70-80.

« Il n’existe qu’une route à travers la nuit, elle mène à un endroit plus loin que tous les autres endroits dans une longue rue entre nulle-part. »

De fait, c’est un texte très rock’n roll qui se lit en écoutant Walk on the Wild Side de Lou Reed. C’est une plongée futuriste en enfer dans le monde de la prostitution. Je n’en dirai pas plus, ça se déguste, tout est dans l’ambiance parfaitement retranscrite par la traduction encore une fois parfaite de Michelle Charrier, comme pour les textes précédents de l’auteur. Un grand texte.

L’Avertissement – Olivier Caruso

Olivier Caruso est de retour dans les pages de Bifrost. Avec désormais six nouvelles publiées dans la revue et une novella dans la collection Une Heure-Lumière, Symposium Inc, L’auteur est un habitué de la maison. Il se trouve que c’est aussi un type sympa, qui sait recevoir les critiques avec le sourire et relancer la discussion. L’Avertissement est une nouvelle cynique, emplie d’humour, et tout à fait cruelle dans le regard qu’elle porte sur l’aspect pervers des nouvelles technologies dans nos vies. De ce point de vue, Olivier Caruso est , à l’instar d’un Greg Egan, un moraliste. Ses histoires pourraient inspirer chacune un épisode de la série Black Mirror. Côté écriture, on retrouve le style Caruso : des phrases courtes, un débit rapide et une écriture au présent qui donnent un sentiment d’urgence. Pour résumer le propos, il suffit de citer l’auteur lui-même : L’Avertissement est une sorte de « Minority Report sans la magie bizarre dans une baignoire ».  Il imagine une technologie, en fait une IA prédictive qui, à partir des données accessibles en ligne, prédit qui va potentiellement passer à l’acte et commettre un crime. Mais plutôt qu’arrêter le suspect, celui-ci reçoit un avertissement accompagné d’un chèque, une somme d’argent importante qui l’incite à se reprendre en main et à rentrer dans le droit chemin avant que la justice ne doive sévir à son encontre. Evidemment, ça va déraper. Aussi bien en raison de l’arbitraire de la chose mais aussi en raison de la nature humaine qui fait que tout le monde est une graine de criminel prompt à abuser le système. C’est malin et très réussi.

Bleu Zima – Alastair Reynolds

Voilà un autre texte que j’avais lu en VO dans l’excellent (je ne le dirai jamais assez) recueil Beyond the Aquila Rift, sorte de Best-of d’Alastair Reynolds, et chroniqué il y a quelques temps déjà. Je vous renvoie donc à la chronique originale. Au-delà de sa très grande poésie, cette nouvelle a la particularité d’avoir été adaptée dans la saison 1 de la série Love, Death and Robots avec des visuels époustouflants. La traduction est de Laurent Queyssi à qui l’on doit aussi celle de la novella La Millième nuit publiée dans la collection Une Heure-Lumière. Il est à parier qu’on retrouvera l’auteur dans le catalogue des éditions Le Bélial’ avant la fin du monde. Si Cthulhu le veut bien.

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Even if Such Ways are Bad – Rich Larson

L’un des fondements de l’œuvre de fiction est la suspension de l’incrédulité à laquelle le spectateur, face à la scène ou à un écran, ou le lecteur, devant la page d’un livre, doit consentir pour accepter, le temps de l’exposition à l’imaginaire d’un auteur, de vivre une expérience sensitive et émotionnelle en dehors de la réalité. C’était le cas déjà du temps d’Homère, encore lorsque Shakespeare demandait à son auditoire de créer des armées imaginaires, et toujours aujourd’hui dans ces genres qu’on appelle la science-fiction et la fantasy. Les conteurs font preuve de plus ou moins de délicatesse dans cet art.  Certains déploieront des trésors de manières pour vous amener à petites touches là où ils le souhaitent sans trop vous heurter. D’autres sont juste des sauvages de la pire espèce qui n’ont aucune considération pour votre santé mentale, et plus ça vous flingue les neurones, plus ils sont ravis. Rich Larson survole cette dernière catégorie. Une brute épaisse.

Lire Rich Larson est toujours une expérience. Rien ne vous prépare véritablement à entrer dans son univers tordu en plus de dimensions qu’il n’en faut pour faire de l’origami de votre raison. Quelqu’un comme Peter Watts, qui s’y entend fort bien aussi en la matière, procède à dessein, dans l’espoir de vous faire entendre que le monde devient fou. Rich Larson, même pas. De sa part, c’est totalement gratuit. De la pure violence poétique.

L’auteur, canadien peut-être – on a abandonné l’idée de lui trouver une nationalité ou un port d’attache – a publié une nouvelle, ou plutôt une hallucination fiévreuse dans les pas du Naked Lunch de William S. Burroughs, titrée Even if Such things are Bad sur le site Tor.com en février dernier. Vous pouvez la lire (en anglais) à vos risques et périls en suivant ce lien.

Je pourrais vous dire que le récit se déroule dans un futur lointain, qu’il y existe une diaspora humaine dans la galaxie, que des vaisseaux organiques creusent l’espace-temps pour traverser les distances. Je pourrai vous dire qu’un type du nom de Chimezie, employé par une compagnie minière, est envoyé vers une lointaine destination à bord d’un de ces vaisseaux piloté par une certaine Mola. Je pourrais aussi vous dire que Chimezie s’est volontairement cramé la mémoire pour échapper à de vilains traumatismes et que Mola va s’en mêler. Je pourrais encore vous dire que Chimezie comprendra pourquoi il est ici et pourquoi on l’envoie là où il va.

Mais ce serait tenter de résumer sans aucun talent une expérience de lecture au-delà de la perception immédiate des sens telle que Rich Larson, doté lui d’un immense talent, vous propose dans ce texte. Alors plutôt que vous dire tout ça, je vais juste vous laisser vous retourner le cerveau en lisant ce petit bijou qu’est Even if Such things are Bad.

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Contracting Iris – Peter Watts

En septembre 2021, Stoneburner – projet solo de musique électronique du musicien américain Steven Archer – a publié l’album digital Contracting Iris contenant deux morceaux, Contracting Iris et Soft Wet and Full of Danger, ainsi qu’un audio book sur une histoire écrite par Peter Watts et inspirée par le titre Contracting Iris. Vous pouvez écouter ce titre en suivant ce lien, et l’audio book en suivant celui-ci. Vous pouvez aussi désormais, c’est-à-dire depuis hier, lire le texte de Peter Watts en ligne dans le magazine Lightspeed qui a eu la bonne idée de le publier.

Contracting Iris nous embarque à Vancouver, dans un futur proche, un futur où un échange verbal avec une IA contactée en ligne remplace la visite chez un médecin en chair et en os, devenu rare et forcément débordé, donc inaccessible, où les voitures sont autonomes, et dans lequel les épidémies virales jouent au maitre des horloges de la cité et de la planète.

Au lendemain du décès de sa mère, Iris se rend à Porteau Cove, un parc provincial situé au nord de Vancouver, là où elle avait l’habitude d’aller enfant et du temps où la santé de sa mère le permettait encore. Arrivée sur place, elle est surprise par un orage soudain et nocturne, un ciel illuminé de teintes dorées et vertes, des nuages lumineux et une pluie acide qui lui brûle les yeux. Plus tard, rentrée chez elle, Iris commence à ressentir des symptômes étranges, des tremblements musculaires, des insomnies. Rien qui ne puisse être des conséquences de sa consommation trop élevée d’alcool lui dit l’IA médicale. Mais Iris sait que c’est autre chose.

Le monde est celui de Peter Watts, sombre, maladif, et menacé autant par un climat enfanté par deux siècles d’insouciance industrielle que par une biologie devenue sauvage et erratique. L’histoire est celle d’un premier contact, ou quelque chose du genre, d’un autre genre. Le texte est représentatif de l’univers littéraire de l’auteur canadien, une science-fiction ancrée dans un socle scientifique bétonné, dans laquelle le soleil ne pointe jamais pas et où l’humanité se tient au bord du précipice. Sa couleur est noir brillant et sa lecture évidemment hautement recommandable.

PS : les lecteurs qui pratiquent l’anglais seront heureux de se précipiter sur ce texte. Les autres peuvent raisonnablement espérer une traduction. Nous avons en France un éditeur cornu qui aime et publie Peter Watts et un traducteur barbu qui sait parfaitement rendre cet univers.

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Falling off the edge of the world – Suzanne Palmer

Autre texte sélectionné par les lecteurs du magazine Asimov’s science-fiction, après Solidity de Greg Egan, cette fois-ci dans la catégorie « novelette » : Falling off the edge of the world de Suzanne Palmer. L’autrice américaine a publié une trentaine de nouvelles dans les magazines anglo-saxons les plus renommés (Asimov’s, Clarkesworld, Interzone,..) et une trilogie de romans, les Finder Chronicles. Cela fait quelques années que je suis avec curiosité et intérêt ses écrits, qui relèvent majoritairement du space opera, sans pour autant être totalement emporté par une production que je trouve inégale. J’ai aimé The Secret Life of Bots, novelette qui avait reçu le prix Hugo en 2018, Thirty-Three percent Joe, ainsi que Bots of the Lost Ark qui a lui aussi gagné le Hugo en 2022. À l’inverse, je suis resté fort dubitatif à la lecture du premier roman de sa trilogie, Finder.

Falling off the edge of the world appartient la catégorie des bons, voire très bons, textes de Suzanne Palmer. L’autrice y transporte l‘histoire de Robinson Crusoé dans un futur lointain, et dans une portion de l’espace qui l’est encore plus. Gabe et Alis sont les deux seuls survivants du terrible accident subit par l’Hellebore, un vaisseau transportant une trentaine de colons de Beenjai, alors qu’il se déplaçait dans l’hyper-espace. Le vaisseau est quasiment coupé en deux, et s’ils peuvent communiquer, Gabe et Alis ne peuvent se rejoindre. Ils vont devoir pourtant s’entraider pour survivre. Vingt-sept ans plus tard, une équipe d’explorateurs venus de Beenjai retrouve l’épave de l’Hellebore.  Mais que peuvent-ils espérer retrouver à son bord après tant de temps ?

Bien sûr, toutes les prémices de l’histoire l’annoncent, il y a un twist. On le soupçonne dès les premières lignes, on le voit se dessiner, et on le devine avant qu’il ne soit révélé, mais le texte fonctionne pour autant très bien car la révélation est lentement construite, par un jeu de points de vue croisés, de manière à n’en être plus une lorsque les mots (maux) sont dits. À titre de comparaison, on peut ranger ce texte aux côtés du film Moon de Duncan Jones, ou l’excellente nouvelle Beyond the Aquila Rift d’Alastair Reynolds qui a été adaptée à l’écran dans la série Love, Death and Robots diffusée sur Netflix. La novelette de Suzanne Palmer suit toutefois un mouvement inverse : elle va de l’ombre vers la lumière. Les lecteurs d’Asimov’s ont souvent bon goût, et à nouveau, il s’agit là d’un texte hautement recommandable si vous lisez l’anglais. Le magazine met à disposition gratuitement les textes sélectionnés par ses lecteurs et vous pouvez lire Falling off the edge of the world en suivant ce lien.

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Solidity – Greg Egan

Comme le fait aussi en France la revue Bifrost, le magazine américain Asimov’s science fiction organise un vote auprès de ses lecteurs pour élire les meilleurs textes publiés dans ses pages chaque année. Après le premier tour, le magazine rend accessible, en ligne et gratuitement, le top 5 des textes dans chacune des catégories : novella, novellettes, nouvelles et poèmes. Vous pouvez les lire à cette adresse. Asimov’s fonctionnant par abonnement, il n’y a habituellement pas d’intérêt à ce que je vous parle des textes qui y sont publiés, sauf en cette occasion où ils deviennent accessibles à tous. C’est le cas de Solidity, un texte publié dans le numéro de septembre/octobre 2022 et signé par le maître de la hard-SF et chouchou de ce blog, Greg Egan.

Futur proche, dès demain. Omar, fils d’immigré tunisien, s’ennuie en cours de géographie au lycée, contemple les nuages qui s’accumulent au dehors et pique du nez. Lorsqu’il revient au présent, le professeur a changé et le tableau s’est couvert de géométrie. L’ensemble de la classe s’interrompt. Ce n’est pas lui, Omar, mais la réalité qui a sursauté. Autour de lui, il ne reconnait personne. Si les lieux, l’école, les rues, la ville sont les mêmes, les personnes sont différentes, inconnues. Et cela vaut pour tout un chacun. Ils viennent tous de glisser dans une réalité alternative, qui plus est instable.

Solidity est une nouvelle sur la résilience et croise plusieurs thématiques chères à Greg Egan : les univers parallèles et la mécanique quantique (sans jamais les nommer directement) et, de manière allégorique, l’expérience vécue par les réfugiés. Omar découvre rapidement qu’il suffit de tourner le regard pour que la réalité change à nouveau. Les gens apparaissent et disparaissent au hasard, remplacés par d’autres tout aussi perdus que lui. La famille, les amis, les simples connaissances de quartier, le gouvernement, toutes les relations sont coupées et sont à réinventer perpétuellement. Cela s’accompagne d’une perte de repères, de sens, et de valeurs sociales. Pour faire face humainement à cette situation de déracinement totale – chacun est devenu un réfugié permanent – et éviter que l’idée même de civilisation ne s’effondre, il va falloir s’organiser, expérimenter avec une réalité changeante et tenter d’inventer une solidarité d’un nouveau genre pour redonner au monde un semblant de solidité. (Le texte joue explicitement sur la proximité des mots solidarité et solidité).

Greg Egan fait ici ce qu’il fait le mieux dans ses nouvelles : il se saisit d’une idée tirée des théories scientifiques avancées et la transporte dans notre réalité tangible pour altérer notre observation du monde. Le texte est court mais emporte son lot de bizarreries extraordinaires qui rendent sa lecture trépidante. Comme souvent chez Greg Egan, la fin reste ouverte, privant le lecteur d’une chute trop facile, mais l’auteur prend soin de proposer une voie suffisamment explicite pour être entièrement satisfaisante sans qu’il n’y ait rien à ajouter de plus. Hautement recommandable si vous lisez l’anglais.

renaudorion

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Cinq nouvelles – Bifrost numéro 109

Ô joie ! La cent neuvième livraison de la revue Bifrost arrive ces jours-ci dans les boites à lettres et sur les étals des librairies de bon goût. Elle nous propose une sélection de cinq nouvelles de très bon niveau.

(Déclaration préalable de conflit d’intérêt : il va sans dire que vous auriez tort de vous fier à mon avis en ce qui concerne la revue Bifrost puisque j’y collabore en tant que chroniqueur pour le cahier critique.)


Pissenlit – Elly Banks


Il s’agit d’une nouvelle que j’avais lue lors de sa première publication en 2018 sous le titre Dandelion dans le magazine américain Clarkesworld, fort appréciée et donc chroniquée ici même à l’époque. J’ai eu grand plaisir à la relire sous la traduction de Gilles Goullet, et mon avis n’a pas changé. Le texte prend la forme d’une lettre ouverte d’une petite fille à sa grand-mère aujourd’hui décédée, ancienne employée de la NASA, et qui 100 ans auparavant, en Octobre 1961, a fait une découverte inquiétante en Antarctique. L’objet trouvé pèse 6 tonnes et est radioactif. Officiellement reconnu comme un débris spatial soviétique, sans doute une arme, à une époque où les américains ignoraient tout du programme spatial russe, l’objet est appelé Sputnik X. Pour la grand-mère de la narratrice, cet objet s’appellera Pissenlit, et a une origine beaucoup plus lointaine que le Kazakhstan, et beaucoup plus ancienne que l’URSS. Cette découverte va engager sa famille sur trois générations, pour le meilleur et pour le pire. La nouvelle fait l’usage intelligent de trois concepts qu’elle relie : l’hypothèse panspermique de l’origine de la vie sur Terre, l’idée de plateau technologique et celle de l’éternel recommencement. Une superbe nouvelle de hard-SF !


L’homme gris – Christian Léourier


L’auteur français Christian Léourier livre ici une nouvelle à la facture d’une grande finesse sur un thème difficile qui est celui de la mort assistée. Le narrateur est cet homme en gris, celui dont le métier est de fournir à ceux dont la condition médicale leur permet d’en faire officiellement la demande, le repos éternel. C’est une leçon d’écriture. Sur le même thème, un plus jeune auteur, moins expérimenté, aurait été théâtral, surjouant le drame dans l’espoir de toucher son lectorat. Léourier a toute l’expérience de l’écriture et du vécu pour au contraire viser la justesse dans la pudeur et l’expression subtile des sentiments. C’est très fort et ça intériorise l’émotion plutôt que l’étaler à grand renfort d’effets superflus. Un grand texte à l’écriture pleinement maitrisée. Sortez les mouchoirs.


L’Hiver en partage – Ray Nayler


Si vous êtes lecteur habituel de ce site, vous savez que je ne suis pas objectif en ce qui concerne Ray Nayler dont je ne cesse de vous parler depuis maintenant quatre ans. L’auteur américain a été pour moi l’une des (rares) révélations de ces dernières années. La publication de ce texte dans Bifrost, en amont de la publication de son recueil de nouvelles à la fin de l’année dans la collection Quarante-deux chez Le Bélial’, me fournit le prétexte d’en parler encore une fois. Je l’avais indiqué lors de recensions précédentes, l’auteur revisite régulièrement les mêmes univers et plusieurs de ses nouvelles partagent des éléments communs, constituant ainsi un ensemble cohérent qui décrit un monde plus vaste que ne l’est la nouvelle prise individuellement. L’Hiver en partage appartient à la série dite du Protectorat d’Istanbul. Tout comme la nouvelle Sarcophage publiée dans le numéro 107 de la revue Bifrost, et les lecteurs attentifs retrouveront dans L’Hiver plusieurs indices faisant directement référence à Sarcophage.

« Que les morts restent morts ».

En une phrase, la première du texte, Ray Nayler pose les enjeux. (Un autre excellent novelliste, Rich Larson, est aussi très fort à ce jeu là.) Chaque hiver, deux femmes se retrouvent à Istanbul. Depuis longtemps. Le titre original, Winter Timeshare, est difficile à traduire en français. Un timeshare est une résidence de vacances en temps partagé. Il fait ici référence non pas à l’appartement qu’elles occupent à Istanbul mais aux corps qu’elles occupent pour l’occasion. Dans tous les textes du Protectorat d’Istanbul, il est question de ces « vacants » occupés par des personnalités qui y sont transférées au besoin. Une forme d’immortalité réservée à des privilégiés, pour des raisons économiques ou, comme c’est le cas ici, professionnelles. Cela ne va pas sans créer des tensions dans la société, ce qui est le thème de la nouvelle. Comme toujours chez l’auteur, le problème est considéré à hauteur d’homme. C’est un très bon texte de Ray Nayler, qui gagne à être considéré dans l’ensemble plus vaste du Protectorat d’Istanbul.

Skin – Emilie Querbalec


Skin est un texte très surprenant d’Emilie Querbalec. Je n’attendais pas du tout l’autrice de Quitter les Monts d’Automne et Les Chants de Nüying dans ce registre. Et quelle belle surprise ! Il s’agit d’une exploration assez osée du concept du moi-peau en psychanalyse (tel que développé par Didier Anzieu). C’est très bien vu, et suffisamment perturbant pour aller flirter avec l’horreur. L’autrice a la finesse de n’imposer aucune interprétation, elle distille les indices, et laisse le lecteur libre d’y voir les effets d’une pathologie ou de se retrancher derrière une explication purement science-fictive. C’est peut-être là, conceptuellement, le texte le plus ambitieux que j’ai lu d’ Emilie Querbalec.

Cicci di Scandicci – Valerio Evangelisti


Le dernier texte, de l’auteur italien Valerio Evangelisti auquel ce numéro de Bifrost est consacré, a été pour moi le plus difficile à aborder, et donc à apprécier. C’est un texte très court, fortement dérangeant, inspiré de l’histoire vraie d’un tueur en série, Pietro « Cicci » Pacciani, surnommé le monstre de Florence par les média italiens, qui a commis une dizaine de meurtres entre 1968 et 1985. Le texte est dit à la première personne par Cicci. Il amène donc à se placer dans la tête d’un psychopathe complet, la plus vile des ordures possibles. On en ressort secoué, en se disant qu’on se serait bien passé de lire ça, quand bien même il est du rôle de la littérature de sonder la part la plus sombre de l’humanité et de nous emmener dans ces abysses là. Glaçant.


D’autres avis : Le dragon galactique, Le Maki, Ombre Bones, Au Pays des Cave Trolls,


renaudorion

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Won’t you stay longer – Rich Larson

Mille fois sur l’épaule d’Orion il fut dit déjà que Rich Larson était un écrivain de science-fiction aussi brillant que productif. Il vit dans un espace-temps différent du nôtre et, débordant d’idées et de mots pour les mettre en forme, parfois il emplit les nanosecondes laissés vacantes on en sait trop comment ni où, entre la publication d’une nouvelle, une rencontre-dédicace, et la sortie d’un roman en écrivant ce qu’il nomme une flash story. Ce sont toujours des perles souvent humoristiques qu’il livre à la lecture, des textes très courts mais denses comme une étoile à neutron.

Won’t you stay longer est l’un de ces textes dont on se régale en quelques minutes et qui laissent derrière eux la saveur douce et piquante d’un bonbon acidulé. Il peut se lire en ligne sur le site Metastellar en suivant ce lien. Il raconte les dernières heures de Jain et Stro, les deux derniers humains vivants sur une Terre ravagée. Je n’en dirais pas plus, cet article ayant plus pour but de vous informer de l’existence de cette très courte nouvelle de SF post-apocalyptique que d’en faire l’examen critique. Mais lisez, c’est très bien, avec en prime, comme toujours chez cet auteur, une chute à déguster.

*L’illustration utilisée en tête d’article n’est pas le travail d’un humain, mais a été générée par l’éditrice du site Metastellar Maria Korolov en utilisant le programme Midjourney. Dans ce cas, la démarche est en cohérence avec le texte qu’elle accompagne.

renaudorion

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Coming of the Light – Chen Qiufan

L’auteur chinois de science-fiction Chen Qiufan a été révélé cette année en France avec la parution fin octobre dans la toute nouvelle collection Rivages/Imaginaire de son roman L’île de Silicium, sous une traduction de Gwennaël Gaffric. Voilà qui justifie qu’on s’intéresse d’un peu plus près aux écrits de l’auteur, notamment sous la forme courte puisque quelques-uns de ses textes ont été traduits en anglais par Ken Liu. Et puisqu’on s’ennuie ferme ces temps-ci avec la production anglo-saxonne, il est plus que temps d’aller voir ailleurs. C’est donc sur la recommandation de l’ami Gromovar que j’ai lu la nouvelle Coming of the Light de Chen Qiufan publié en 2015 dans le numéro 102 de l’excellente revue Clarkesworld.

Ce texte de 8360 mots, soit une petite novellette, s’aventure non sans ironie du côté métaphysique de la science-fiction, en comparant l’appétence humaine pour les religions et la technologie. Zhou Chongbo est stratège en marketing pour un petite entreprise de la Silicon Valley chinoise. Notant que l’observation des rituels bouddhistes chez la plupart de ses concitoyens relève plus de la superstition et d’un besoin psychologique de se sentir en sécurité plutôt que d’une véritable foi religieuse, il a l’idée de placer l’application mobile d’un client sous la protection de Bouddha en la faisant consacrer par un moine.  Il propose de créer ainsi une économie de partage des bénédictions. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est le succès qu’aurait son idée et, plus encore, qu’il pouvait exister des liens plus profonds qu’il ne l’imaginait entre code informatique et structure de l’univers.

Coming of the Light est une nouvelle malicieuse qui, sous des dehors humoristiques et un scénario que l’on pourrait résumer en un mot par « Oups ! », présente une véritable critique de la société du vide existentiel et met en accusation les rapports irrationnels que l’on peut entretenir avec les nouvelles technologies. Tout ceci est fait sous les ors de la science-fiction, seul genre qui ne connait aucune limite et dans lequel consulter ses notifications le matin peut engendrer une catastrophe cosmique le soir. Et c’est précisément pour cela qu’on l’aime.

Gromovar concluait sa chronique par un appel du pied vers le monde de l’édition française. Je plussoie.

renaudorion

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Glace – Rich Larson

Je pense qu’il n’est pas nécessaire de refaire les présentations, Rich Larson a été maintes fois chroniqué sur ce blog – 11 fois très exactement, et désormais 12 (clique sur l’index, lecteur, clique).  Chéri des éditions du Bélial’ depuis quelques années, avec 5 nouvelles publiées dans Bifrost,  le recueil La Fabrique des lendemains et le roman Ymir, l’auteur « post-eganien » (il me faudra revenir à l’occasion sur la signification de ce terme qui me semble être universellement mal compris) fait son retour sous nos latitudes dans le numéro 108 de la revue avec la nouvelle Glace (Ice, 2015) traduite comme à l’accoutumée par Pierre-Paul Durastanti. Cette nouvelle a une particularité : elle a été adaptée dans la saison 2 épisode 2 de la série d’animation Love, Death and Robots sur Netflix. Le studio Passion Animation Studios et le directeur Robert Valley ont fait un extraordinaire travail de réalisation avec un parti pris esthétique fort qui leur a valu de décrocher trois Emmy awards. Les mêmes ont réalisé la somptueuse adaptation de Zima Blue d’après la nouvelle d’Alastair Reynolds.

Glace raconte un court moment, juste un instant, dans la vie de deux frères, tous deux nés sur terre mais arrivés avec leur famille depuis leur enfance sur la planète glaciaire Néo-Groenland. Pour les autres habitants de la planète, ils sont des « extros ». Sedgewick est l’aîné. Contrairement à son frère cadet Fletcher, et tous les autres humains exilés, il n’a subi aucune modification génétique. Il n’est pas un « modé », et il est le seul à 16 années-lumière à la ronde. À l’occasion d’un jeu entre ados, une sorte de « t’es pas cap » qui consiste à se mettre en danger et courir sur la glace pour échapper aux baleines géantes qui la brisent en remontant respirer, la supériorité physique de son petit frère ainsi que ce qu’il interprète comme une certaine condescendance va faire remonter en lui de profonds ressentiments.

Rich Larson a déclaré que son roman Ymir était le fils spirituel de la nouvelle Glace. On y retrouve un décor semblable (la planète glaciaire) et l’expression d’une rivalité entre deux frères sur une planète à laquelle ils n’appartiennent pas vraiment. Sedgewick et Fletcher pourraient tout aussi être les versions adolescentes de Yorick et Thello d’Ymir et Glace un moment de leur enfance. Il est à noter que ce thème de la dynamique des relations entre frères, avec les rancœurs qu’elle peut générer, est récurrent chez Larson. Au-delà de la thématique qui touchera intimement toute personne équipée d’une fratrie, la nouvelle est particulièrement notable pour l’évocation puissante, en quelques mots, de l’univers étranger dans lequel elle se déroule. C’est une leçon de savoir-faire, et sans doute ce qui a attiré l’œil de Robert Valley pour son adaptation à l’écran. Il suffit de contempler les majestueuses baleines baignées de lumière sur l’image tirée de l’animation et utilisée en entête de cette chronique pour s’en convaincre. Quoi qu’il en soit, c’est encore là une superbe  nouvelle que nous livre Rich Larson.

renaudorion

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Un soir d’orage – Nicolas Martin

Vous connaissez certainement Nicolas Martin – qui était il y a quelques mois encore le meilleur journaliste scientifique que ce pays ait engendré, et qui est aussi producteur, scénariste et réalisateur – mais vous ignorez peut-être qu’il est auteur de science-fiction. C’est pardonnable car, à ce jour, il n’a publié que trois nouvelles, toutes dans les anthologies du festival des Utopiales de Nantes : Le Cruciverbiste (Utopiales 2019, ActuSF, réédité au Club de la nouvelle), La mémoire de l’univers (Utopiales 2020, ActuSF), Loup y es-tu ? (Utopiales 2022, ActuSF).  Vous avez toutefois toutes les raisons du monde de vous réjouir car le numéro 108 de la revue Bifrost, qui sort le 27 octobre, va vous donner l’occasion de découvrir sa plume avec la nouvelle Un soir d’orage. (Une cinquième nouvelle sortira le 18 novembre 2022 dans la Xénographie, ouvrage collectif consacré à la franchise Alien, dont il a codirigé la conception.)

En parallèle à ce blog, j’ai quelques activités criminelles qui m’amènent à lire régulièrement des manuscrits. Je n’ai jamais lu un mauvais manuscrit de Nicolas Martin. Pas même un moyen. Nicolas possède une écriture très personnelle, ce qui est rare pour un auteur si novice, vous pouvez me croire. Cette écriture construit ses fondations sur un style, dont on pourra dire qu’il porte les stigmates de l’urgence, du besoin de crier quand bien même dans l’espace…, mais c’est aussi un regard sur le monde, qui appartient plus au registre du cauchemar viscéral que du rêve doucereux et apaisant. (Spoiler : Nicolas Martin n’est pas Becky Chambers.) Cette écriture singulière, vous la rencontrerez pleinement dans Un soir d’orage.

La nouvelle raconte une nuit d’orage, celle du 22 septembre 2021, telle qu’elle est vécue par Enzo, un enfant souffrant de crises d’épilepsie, alors que s’abat sur la planète un flux continu de milliards et de milliards de neutrinos et d’antineutrinos de haute énergie. Un soir d’orage est le cauchemar éveillé d’Enzo devant le monde, son monde, qui s’écroule littéralement autour de lui. C’est un texte très dur sur la façon dont un évènement traumatique peut-être vécu par un enfant en proie à une perte totale de repère, thème récurrent chez Nicolas Martin, dit avec la justesse du regard et des émotions dans l’urgence du moment. Je n’en dirai pas plus, je laisse la plume de Nicolas Martin vous remuer les viscères, mais si vous en avez l’occasion, je vous recommande très fortement la lecture de la nouvelle Loup y es-tu ? dans l’anthologie des Utopiales 2022, qui délivre de façon glaçante une autre variation sur le même thème.

En quelques textes, Nicolas Martin est devenu l’un de mes auteurs français de SF préférés. Je trouve dans ses écrits quelque chose d’infiniment personnel et profond qui me bouleverse. J’espère que vous serez aussi sensible à cet auteur que je peux l’être.


D’autres avis : Gromovar,

renaudorion

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Enfants de sang – Octavia E. Butler

L’autrice américaine Octavia E. Butler (1947-2006) n’a jamais écrit que neuf nouvelles durant sa carrière. C’est étonnamment peu en comparaison d’autres auteurs et autrices de cette importance.  Le numéro 108 de la revue Bifrost lui est consacré et met à l’honneur Enfants de sang (Bloodchild), un texte écrit en 1984 ; il a reçu les prix Hugo, Nebula et Locus en 1985, et étrangement était resté inédit en France à ce jour. Sa traduction a été réalisée par Michèle Charrier.

C’est une nouvelle tout à fait époustouflante dans laquelle Octavia E. Butler inverse les rapports de domination habituellement générés dans les récits de science-fiction et où, inévitablement, se mêlent science-fiction et horreur. Nous sommes quelque part entre le film Alien (1979) et le roman La Monture (2002) de Carol Emshwiller. Si vous avez lu ce dernier, vous ne manquerez pas de faire le rapprochement tant il est évident, jusque dans ses thématiques les plus profondes.

Dans un futur indéterminé mais nécessairement lointain, quelques humains ont cru échapper à la persécution en quittant la Terre des origines pour fonder une colonie ailleurs, sur une planète non nommée dans la nouvelle. Là, ils vivent dans une réserve, sous la domination de l’espèce extra-terrestre insectoïde native – qu’on imagine aisément une sorte de scorpion géant – les Tlics.  Ces derniers utilisent les humains, et principalement les hommes, comme hôte de leurs larves, mêlant ainsi les familles des deux espèces par des liens de sang.

L’histoire nous est racontée par Gan, jeune garçon humain choisi dès sa naissance par une personnalité politique locale T’Gatoi pour devenir son N’Tlick, à savoir le porteur de ses œufs. Encore trop jeune pour comprendre la signification des choses et les ressentiments de sa mère et de son frère ainé, Gan perçoit son rôle comme un honneur. Mais un jour il est le témoin d’une scène à laquelle il n’aurait jamais dû assister.

Octavia E. Butler fait ici preuve d’un incomparable talent pour déployer en 19 pages un récit qui à la fois conçoit un univers et sa raison d’être, et qui s’offre en plus le luxe d’explorer la complexité des relations de domination. On y retrouve des thèmes communs avec les romans de l’autrice, je pense notamment à Liens de sang, La Parabole du semeur et La Parabole des talents, qui mettent en lumière l’empathie des dominés pour les dominants. Un truc véritablement dérangeant.

Enfants de sang est un véritable tour de force qui ne laisse pas le lecteur indemne.


D’autres avis : Gromovar,

renaudorion

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Incident at San Juan Bautista – Ray Nayler

J’écoutais ce matin un podcast réunissant Ken Liu, Tochi Onyebuchi et Ray Nayler. Si l’anglais à l’oral ne vous freine pas, vous pouvez l’écouter ici, la discussion est particulièrement intéressante. Chacun des auteurs invités lit un passage d’un de ses textes, choisi par lui-même. Ray Nayler a choisi de lire quelques lignes d’une nouvelle qu’il a publiée dans Asimov’s en 2018. Il s’agit de Incident at San Juan Bautista, que l’auteur a rendu disponible à la lecture en ligne sur son site. Si j’ai lu de nombreux textes de Ray Nayler, à ce jour je n’en ai chroniqué que quelques-uns.  L’opportunité se présente donc pour moi de vous parler aujourd’hui d’Incident at San Juan Bautista.

Nous sommes à la fin du 19e siècle, en un lieu et une époque de l’histoire nord-américaine passés dans la culture populaire sous le nom de Far Ouest. San Juan Bautista est une petite ville de Californie, quelque part entre Los Angeles et San Francisco. August est allongé sur un lit à l’étage d’un hôtel en compagnie de Madeleine, une prostituée dont il a loué les services la veille au soir. August est un tueur professionnel. Il est là pour remplir un contrat. Dans la première moitié de la nouvelle, il raconte son histoire : celle d’un homme qui a émigré d’Allemagne à dix-sept ans, qui a changé de nom pour devenir dentiste à Brooklyn, puis tueur à gage à Los Angeles à nouveau sous une autre identité. Son histoire est celle d’un jeune homme ordinaire ayant vécu plusieurs vies, aspiré par la violence du pays et de son époque. Dans la seconde moitié, Madeleine lui raconte son histoire à elle.

Par le truchement d’un trope science-fictif, ici très habilement utilisé d’une manière qui n’est pas sans rappeler le roman Palimpseste de Charles Stross, Ray Nayler dresse le portrait critique de son pays, les Etats-Unis, de son passé et de son devenir. L’Ouest américain à la fin du XIXe siècle est l’épitome d’une histoire d’une nation aussi fascinée que rongée par la violence historique de sa fondation, un instant que Madeleine appellera le meilleur du pire. Un moment charnière où l’expression de cette violence est libre et atteint une sorte d’apogée qui s’inscrit dans la culture collective du pays. À nouveau dans ce texte, par le renversement des points de vue qu’autorise la science-fiction, Ray Nayler montre toute la subtilité dont il est capable dans une forme narrative qui force la perspective d’une réflexion sur le présent. Publié il y a 10 ans, ce texte acquiert une nouvelle pertinence face à l’actualité. Car, si en filigrane se dessine la possibilité d’un avenir meilleur, on ne peut qu’en douter au moment où les membres les plus conservateurs de la cour suprême appellent à un retour à ces « valeurs fondatrices ».

C’est bien la science-fiction quand c’est ainsi fait.

renaudorion

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The Voyage that Lasted 600 Years – Don Wilcox

Je vous proposais récemment un retour en arrière, une décente vertigineuse dans les tréfonds de la grande bibliothèque de la science-fiction, autour du thème des vaisseaux générationnels avec deux articles consacrés à Spacebred Generations de Clifford D. Simak, et Stardust & The Wind Blows Free de Chad Oliver. Ces quelques sondages archéologiques ne sauraient révéler une stratigraphie complète si je n’évoquais pas le tout premier texte écrit dans la thématique.

Publié dans la revue Amazing Stories en octobre 1940, « The Voyage that Lasted 600 Years » de Don Wilcox est souvent présenté comme la première histoire de fiction basée sur le concept de vaisseau générationnel. Le titre de premier est toujours discutable. Le site ISFDB recense deux textes mentionnant le concept publié avant « The Voyage » :

« The Living Galaxy » de Laurence Manning publié en 1934 dans Wonder Stories, mais dont le sujet n’est pas une arche générationnelle mais l’expansion de l’humanité dans l’univers pendant 500 millions d’années, notamment en déplaçant une planète entière grâce à la propulsion atomique (idée reprise par Liu Cixin dans Terre Errante (2000)).

« Proxima Centauri » de Murray Leinster publié dans Astounding Stories en mars 1935. Le gigantesque vaisseau Adastra, est parti de la Terre vers Proxima du centaure pour un voyage d’une durée de sept années. Quand bien même des enfants sont nés à bord, que le vaisseau est un monde autosuffisant en soi, et que des mutineries éclatent à son bord, on ne peut pas parler d’arche générationnelle.

« The Voyage that Lasted 600 Years » serait donc bien comme le premier texte à faire du vaisseau générationnel le concept central du récit. À ma connaissance, il n’a jamais été traduit.

Trente générations se succèdent à bord du S.S. Flashaway avant qu’il n’arrive à sa destination, les planètes Robinello, à la fin d’un voyage prévu pour durer 600 ans. Un seul homme, le professeur Gregory Grimstone, vit l’intégralité du voyage. En tant que Gardien des Traditions, il est placé en hibernation et réveillé tous les cent ans, de manière à s’assurer de la bonne marche du vaisseau mais aussi que les générations intermédiaires n’oublient pas le but du voyage. (Notez que cette idée à été reprise par Adrian Tchaikovsky dans le roman Dans la toile du temps.) Je le soulignais dans les deux articles précédents, la question des générations intermédiaires, celles qui vont subir le Long Voyage malgré elles et n’en tirer aucune gloire, est celle qui occupe les auteurs de science-fiction depuis… et bien depuis ce tout premier texte.

Vous vous en doutez bien, les choses ne se passent pas comme prévu par le plan initial et à chaque réveil, Grimstone devra faire face à une détérioration de la situation à bord du Flashaway. À son départ de la Terre en 2066, le vaisseau emporte seize couples et, accidentellement, deux personnes supplémentaires : Broscoe, un journaliste qui n’est pas redescendu à temps, et Louise, la fiancée de Grimstone montée à bord pour lui dire au revoir. Le texte ne manque pas d’humour, jusque dans son dénouement.

Dès son premier réveil, Grimstone apprend que Broscoe a eu des enfants Louise et qu’une trentaine de leurs descendants vit à bord. Mais surtout, il doit faire face à la première crise qui est celle de la surpopulation. Le vaisseau compte désormais plus de 200 personnes au lieu des 100 prévus pour maintenir une population stable dans les limites des capacités du vaisseau. Deuxième réveil, la population est de 800…

Au fur et à mesure du voyage, la situation se dégrade. Des factions se forment, des conflits éclatent. Pire, une génération décide de faire demi-tour ! À chaque fois, Grimstone doit intervenir, imposer des règles, faire cesser les conflits, parfois en usant de violence. Avec le temps, son nom est maudit, il devient l’ogre dont le nom est invoqué par les parents pour effrayer leurs enfants. Il est une créature issue d’un passé dont personne ne se souvient et dont personne ne veut se souvenir. Il n’appartient plus à leur monde. Tout va de mal en pis, jusqu’au dénouement de l’histoire, à l’arrivée du vaisseau. La fin est ironique et a inspiré à Chad Oliver la nouvelle « Stardust », et à E.A. van Vogt la nouvelle « Destination Centaure » publiée dans Astounding en 1944. Rien que ça.

C’est peu dire que « The Voyage that Lasted 600 Years » a été un texte novateur. Avec lui, Don Wilcox a créé une thématique devenue depuis l’un des tropes les plus utilisé dans la littérature de science-fiction. Un texte fondateur donc.

renaudorion

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Stardust & The Wind Blows Free – Chad Oliver

Faisant suite à l’article publié hier sur le thème des arches générationnelles avec Spacebred Generations de Clifford D. Simak, continuons si vous le voulez bien notre exploration de quelques textes de science-fiction qui ont tracé les sillons du Long Voyage interstellaire pour les générations d’auteurs à suivre. Comme je le disais, au-delà des aspects techniques, l’un des motifs récurrents est le devenir des générations intermédiaires, celles qui n’ont rien à gagner de l’aventure dans laquelle elles se trouvent embarquées malgré elles et comment l’évolution de leur culture et de leurs croyances peut affecter le déroulement du voyage. Clifford D. Simak imaginait la création d’un mythe qui liait les membres de l’aventure sur des générations sans but autre que la perpétuation d’une idée originelle perdue dans les remous du temps. Mais quand bien même, les sociétés humaines étant sujettes aux lois qui gouvernent l’entropie, les choses inévitablement dégénèrent du fait d’un groupe ou d’un individu qui ne s’accommode pas des règles. Au fil des générations, l’imprévu devient une certitude et toujours le vent souffle où il veut.

Qui de mieux placé qu’un anthropologue pour discuter du devenir des populations ? Avant d’être un auteur de science-fiction, Chad Oliver (1928-1993) fut diplômé d’un doctorat d’anthropologie de l’université de Los Angeles puis professeur à l’université d’Austin. Auteur de neuf romans et d’une soixantaine de nouvelles, il a notamment écrit dans les années 50 deux textes sur les arches générationnelles : Stardust (1952) publié dans Astounding Science Fiction et traduit en français sous le titre « La poussière des étoiles » dans La grande anthologie de la science-fiction – Histoires de voyages dans l’espace, Livre de Poche, 1983, et The Wind Blows Free (1957) publié dans The Magazine of Fantasy and Science Fiction  et traduit sous le titre « Le vent souffle où il veut » dans Opta, Fiction n°68, 1959 et La Grande anthologie de la science-fiction – Histoires de cosmonautes, Livre de Poche, 1974. Ces deux textes sont disponibles en VO dans le recueil Far From this Earth publié chez Gateway (2015).

Stardust

S’inspirant de la cruelle ironie imaginée par A.E. van Vogt dans Destination Centaure (1944), Stardust fait le récit d’une rencontre improbable : celle d’un vaisseau spatial voyageant d’une planète à l’autre en quelques jours à travers l’hyperespace (concept introduit en SF dès 1931 par John Campbell dans la nouvelle Islands of Space) et du Viking, une relique des voyages interstellaires, à savoir une arche générationnelle, disparue des radars depuis plus de 200 ans. À son départ de la planète Terre, une population de 200 hommes et femmes se trouvait à son bord. Le vaisseau parait mort, mais dans le doute, il est du devoir de l’équipage de s’arrêter et de lui porter assistance. Toutefois, prévient l’anthropologue de bord, il convient de prendre quelques précautions, car après un si long temps passé dans l’isolement, les humains à son bord ont très certainement développé une culture bien différente de celle des hommes modernes. La nouvelle alterne habilement un double récit, proposant le déroulement des événements vus des deux côtés. À bord du Viking, la situation a évidemment dégénéré et l’équipage est divisé en deux factions s’affrontant pour la maitrise du vaisseau, l’une gardant espoir d’arriver à destination et l’autre prônant une vie d’errance dans l’espace. Leurs sauveteurs vont devoir imaginer un plan pour leur venir en aide sans provoquer de traumatisme trop important.

The Wind Blows Free

Le thème de la dissension au sein de la société qui est à nouveau exploré par Chad Oliver de manière très différente dans The Wind Blows Free. La nouvelle se déroule toujours à bord d’une arche générationnelle et raconte l’histoire d’un jeune homme appartenant à l’une de ces générations intermédiaires condamnées à une existence vaine. Lui n’arrive pas à s’adapter aux règles qui régissent la société du vaisseau. Sans cesse poussé à la marge à la fois par son caractère et par la hiérarchie du bord, il finit par transgresser les lois et explorer plus qu’il ne le devrait son environnement. Il finira par découvrir le grand secret que cachent les officiers du bord. Il s’agit d’une nouvelle à twist, que l’on devine malheureusement un peu trop rapidement. Moins efficace que Stardust, et plus maladroite dans l’écriture, la nouvelle n’en est pas moins originale pour son époque et sa chute a par la suite inspiré d’autres textes, voire des œuvres filmées. Je n’en dis pas plus.

renaudorion

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Wants Pawn Term – Rich Larson

[French version] Rich Larson publie ce mois-ci dans la revue Clarkesworld « Wants Pawn Term« , une nouvelle relativement courte, qui se présente comme une réécriture science-fictionnesque du Petit Chaperon rouge et que vous pouvez lire en suivant ce lien. Si de ce conte populaire il existe de nombreuses versions, ce sont celles de Charles Perrault, écrite au XVII siècle, et des frères Grimm, datant du XIXe siècle, que nous avons principalement retenues. Ces deux versions sont différentes. Celle de Perrault voit le triomphe du loup, tandis que celle des Grimm en est une version édulcorée avec l’intervention d’un chasseur qui sauve tout le monde. Pouah ! Rien de cela chez Rich Larson. Après avoir lu de nombreux textes de l’auteur, notamment dans le recueil La Fabrique des lendemains publié en 2020 aux éditions Le Bélial’, j’en viens à penser que s’il y a un domaine dans lequel Rich Larson brille particulièrement (il brille dans de nombreux domaines, mais si on devait en choisir un…), c’est celui de la SF mâtinée d’horreur. Et si « Wants Pawn Term » raconte une histoire totalement différente de celle du conte que nous connaissons tous, par son inclinaison résolument vers le côté obscur, la nouvelle se rapproche plus de l’ambiance de la version de Charles Perrault.

La nouvelle n’est pas résumable, et l’on ne peut même commencer à en dévoiler ne serait-ce qu’un fil puisqu’elle est construite sur un point de vue, forcément biaisé, et c’est entièrement là-dessus que fonctionne son mécanisme. Disons que cela se passe dans l’espace, et qu’il y a eu une catastrophe, et qu’il faut sauver des gens et qu’il est question d’IA. L’histoire est dite de la voix de Red. Ajoutons que si le point de départ est Le Petit Chaperon rouge, on croise assez rapidement le mythe chrétien de l’ange déchu. Tout ceci se fait sous les ors de la hard-SF, dans une approche que l’on comparera aux textes les plus fous d’Hannu Rajaniemi.

Comme souvent chez l’auteur, il s’agit d’une nouvelle à twist, dans laquelle se dévoilent progressivement les dessous véritables du récit, sans qu’ils ne soient jamais directement exposés, mais dont la compréhension se fait en l’absence des mots habituellement consacrés à la situation. C’est bien sûr là tout le talent d’écriture de l’auteur, et le plaisir qu’on à lire ce texte court mais formidable. Lisez-le, si l’anglais ne vous arrête pas.


[English version] Rich Larson published in Clarkesworld magazine this month a relatively short story, « Wants Pawn Term», presented as a science-fiction rewriting of Little Red Riding Hood and which you can read by following this link. There are many versions of this folk tale, but we have mainly retained those by Charles Perrault, written in the XVIIth century, and by the Grimm brothers, dating from the XIXth century. These two versions are quite different. Perrault’s sees the triumph of the wolf, while the Grimm’s is a watered-down version with the intervention of a hunter who saves the day. No such thing in Rich Larson’s cynical world. After having read many texts of the author, notably in the collection La Fabrique des lendemains published in 2020 by Le Bélial’, I have come to think that if there is a field in which Rich Larson particularly shines (he shines in many fields, but if we had to pick one…), it is when science fiction mingles with horror. And even though « Wants Pawn Term » tells a story totally different from the tale we all know, leaning towards the darker side, the short story is closer to the atmosphere of Charles Perrault’s version.

The story cannot be summarized, and we cannot even begin to reveal a thread of it, since it is built on a point of view, necessarily biased, and its mechanism works entirely on that. Let’s say that it takes place in space, and that there has been a catastrophe, and that people have to be saved, and that AI is involved. The story is told in Red’s voice. Let’s add that if the starting point is Little Red Riding Hood, we quickly come across the Christian myth of the fallen angel. All this is done under the golds of hard-SF, in an way we can compare to the craziest texts of Hannu Rajaniemi.

As is often the case with this author, it is a short story with a twist, in which the underside of the story is gradually revealed, without it ever being directly told, but which can be understood in the very absence of the words usually devoted to the situation. This is of course the author’s talent for writing, and the pleasure of reading this short but wonderful text. Read it.

renaudorion

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Expiation – Tade Thompson

Après avoir découvert comme beaucoup de lecteurs français l’auteur britannique Tade Thompson à travers la série Molly Southbourne, que j’avais beaucoup appréciée pour son ancrage psychanalytique dans le body-horror, j’avais été déçu par ma lecture de Far from the Light of Heaven (2021), space opera que je n’avais pas trouvé très convaincant, voire limite raté. La publication d’une nouvelle de l’écrivain dans le numéro 106 de la revue Bifrost (qui sort aujourd’hui, le 28 avril 2022) est l’occasion de retrouver, peut-être sous de meilleurs jours, sa plume. Et j’en sors plus que ravi.

Expiation est une nouvelle datant de 2016, publiée dans le magazine Interzone sous le titre original The Apologists. Elle nous arrive sous la traduction de l’inimitable Jean-Daniel Brèque qui, du même auteur, a déjà traduit Les Meurtres de Molly Southbourne (2019) et La Survie de Molly Southbourne (2020) pour la collection Une Heure-Lumière chez Le Bélial’.

« Aujourd’hui, je décide d’aller dans un bar. »

Expiation est l’histoire d’un mec qui rentre dans un bar.  Là, sans aucune formalité d’usage, il propose à une femme de coucher avec elle, sans que ceci ne provoque de réaction de la part de l’homme qui l’accompagne. Elle accepte. Notre héros s’en va, furieux. En chemin, il bouscule une ou deux personnes, qui ne bronchent pas. Ce qui le met encore plus en colère. Décidément, rien ne va dans ce monde. Expiation est l’histoire d’un homme désagréable, violent et cynique, qu’il va nous être a priori difficile d’apprécier.

À ceci près que Tade Thompson emmène d’entrée son lecteur sur une fausse piste, car l’histoire n’est pas du tout celle-là et l’on réalise rapidement l’illusion magistrale que vient de nous servir l’auteur. Expiation est l’histoire d’un homme que la vie a rendu solitaire et qui se voit condamner à vivre une situation des plus absurdes, dont je ne peux rien dire de plus car c’est là tout le charme de la nouvelle qui va de révélations en révélations. Disons, simplement, que le scénario évoque les ambiances irréelles et l’absurdité de la série télévisée originale The Twilight Zone de 1959, et plus particulièrement peut-être les épisodes « Where is Everybody » et « The Lonely » écrits par Rod Serling. La situation dans laquelle se trouve Storm n’est en rien crédible, si l’on cherche à tripatouiller dans les méandres scénaristiques de ce récit de science-fiction, car c’est bien de science-fiction dont il s’agit, et même de science-fiction postapocalyptique, mais là n’est pas le propos. Cette mise en place permet à l’auteur de tenter à définir ce qui constitue l’humanité, avec ses qualités et ses défauts. Surtout ses défauts. Mais ceux-ci ne sont-ils pas essentiels à faire l’humain, interroge Tade Thompson. Toute fable possède son côté sombre, et celle-ci est cruelle.

Expiation est une nouvelle que j’ai trouvé très réussie, avec une écriture franche qui m’a rappelé Albert Camus pour le style. Peut-être est-ce là aussi le talent du traducteur qui a su rendre ce texte vraiment… particulier de manière fort appréciable. Une très bonne lecture que je vous conseille vivement, et qui m’a réconcilié avec l’auteur.

renaudorion

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