Vue lecture

Sherlock Holmes en version numérique

ShDeux nouveaux volumes et un album sont parus dans la collection La Pléiade en ce début d'été. Vous aurez du mal à ne pas les voir aussi bien en librairie que dans le paysage médiatique. Peut-être cela vous donnera-t-il envie de lire (ou de relire) les aventures du célèbre détective.

Si vous préférez une version numérique pour vos vacances en évitant de trimbaler des volumes trop lourds et chers (voire des caractères bien trop petits à votre goût), préparez-vous, c'est une vaste jungle. Des éditions luxueuses et intégrales en imprimé, certes il y a un vaste choix, La Pléiade donc, mais aussi récemment chez Litera ou Bouquins, Omnibus il y a plusieurs années. Aucune en ePub malheureusement, juste des PDF à prix forts pour Omnibus, on oubliera. Des dizaines et des dizaines d'éditions sur les plate-formes, des titres séparés, des compilations. Alors quoi choisir?

Si vous voulez absolument vous orienter vers du libre de droit gratuit - Sherlock Holmes est entré dans le domaine public en 2023, ce n'est pas pour rien que l'on voit fleurir ces nouvelles éditions -, destination Ebooks Gratuits qui vous propose l'ensemble des 4 romans et 56 nouvelles. Les plus anciens titres numérisés il y a plus de vingt ans, corrigés depuis. Dommage qu'il ne soit pas proposé une compilation complète au format ePub.

En fait c'est simple, toutes les soi-disant compilations ou pire les titres séparés à petits prix que vous trouverez ici et là, ne sont que des repompages éhontés de ces numérisations.

J'ai regardé avec soin. Toutes les "compilations" proposées ici et et là sur les plate-formes sont des ramassis de textes regroupés avec des erreurs, des textes tronqués, des manques, c'est un festival. Gardez vos euros, vous serez déçus, c'est bien souvent aussi une catastrophe typographique.

Si vous souhaitez une version numérique d'éditeur reconnu et sérieux (en évitant l'achat des titres séparés bien chers chez les éditeurs de poche), une destination est peut-être du côté d'Archipoche qui avait publié une série de 7 volumes en 2019. Le coffret complet imprimé n'est plus disponible mais heureusement les versions numériques le sont. Des prix un peu élevés mais elles sont cependant proposées sans DRM avec un simple marquage chez les libraires. Vous pourrez les partager avec vos proches. Néanmoins il s'agit sans doute possible de traductions libres de droits (voir ci-dessous en PS). Archipoche a au moins le mérite d'avoir procédé à un travail de numérisation et non pas à un simple repompage sur le web.

On regrettera qu'une compilation de l'Intégrale Sherlock Holmes digne de ce nom avec des traductions modernes ne soit pas disponible, comme il en existe dans d'autres langues.

Si vous souhaitez la version anglaise bien sûr, je vous conseille ce site de référence.

Voilà, bonne lecture en compagnie de Sherlock Holmes!

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PS : Pour en savoir plus sur les traductions des différentes éditions, je vous invite à consulter ce billet très complet.

La collection Sherlock Holmes parue chez Archipoche regroupe l’intégralité des romans et nouvelles du célèbre détective, mais le nom du traducteur n’est pas explicitement mentionné. À titre de comparaison, d’autres éditions françaises récentes de Sherlock Holmes mentionnent des traducteurs comme Éric Wittersheim (pour la collection Omnibus). En l’absence d’information explicite, il est certain que les volumes Archipoche utilisent des traductions libres de droit, du domaine public, ce qui expliquerait l’absence de mention systématique du ou des traducteurs.

Bien moins de scrupules à pirater cette édition, vous la trouverez en fouillant un peu, c'est dit.

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Ebooks Gratuits : de nouveaux titres

Ebooks gratuitsFeu d'artifice du côté d'Ebooks Gratuits en ce printemps. Pas moins d'une quarantaine de nouveaux titres disponibles en téléchargement depuis quelques semaines. Entre autres, Edgar Rice Burroughs, Paul Féval, Jules Vallès, Pierre Benoit, Jules Renard et Jean Giono pour nos amis québécois. Toujours incontournable pour lire sans modération des classiques et découvrir des livres qui le sont moins mais qui méritent d'être redécouverts.

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Un classique : Les Monades urbaines – Robert Silverberg

Il y a quelques semaines, l’Arabie Saoudite a lancé les travaux du projet NEOM, aussi connu sous le nom de The Line, une ville linéaire de 170 km de long composée de deux bâtiments de 500 m de hauteur et qui devrait, si le projet arrive à terme, pouvoir accueillir en 2045 neuf millions d’habitants sur une superficie totale de 26 000 km2. Cette ville futuriste implantée au cœur du désert est présentée comme une utopie urbaine bénéficiant des plus hautes technologies : indépendance énergétique basée sur les énergies renouvelables, robotisation, connexions électroniques à tous les étages, accès à tous les besoins et divertissements afin de rendre inutile la vie extérieure. L’empreinte au sol est limitée, seulement 34 km2 et les terres ainsi libérées sont rendues à la nature. Bien sûr, son fonctionnement reposera sur une organisation de société privée, et on ajoute un système de reconnaissance faciale couvrant tout le territoire, parce que pourquoi pas ? Inévitablement, nous sommes amenés à nous poser la question qui hante l’esprit de tous les lecteurs de science-fiction : The Line est-elle une véritablement une utopie futuriste ou à l’inverse une ancienne dystopie ?

Considéré comme le père de l’architecture « moderne », l’architecte et urbaniste Le Corbusier commence dès 1920 à travailler sur le concept de ville contemporaine pouvant accueillir des millions d’habitants, et sur celui d’unité d’habitation, qui aboutira à la construction de plusieurs bâtiments dont la célèbre Cité radieuse de Marseille surnommée « la maison du fada » par des marseillais facétieux.  La Cité de Le Corbusier est organisée de manière à offrir à ses habitants tout un ensemble de services qu’on trouve habituellement dans une ville : commerces, écoles, équipements sportifs. Bref, un monde intérieur.

Harry Harrison écrit en 1966 le roman Make room! Make room! (Soleil Vert, 1974) qui a pour thème principal les risques d’explosion démographique, reprenant les inquiétudes exprimées par Thomas Malthus dès la fin du XVIIIe siècle. En 1968, John Brunner publie Stand on Zanzibar (Tous à Zanzibar, 1972). En 1968, le Club de Rome se réunit pour la première fois. Il publie son premier rapport en 1972, le rapport Meadows, qui alerte sur les limites de la croissance économique et démographique.

Souvent, la science-fiction ne parle que du présent. Robert Silverberg publie au cours des années 1970 et 1971 une série de nouvelles, ou d’épisodes, dans la revue Galaxie puis les réunit dans un roman en 1971 sous le nom The World Inside. L’ouvrage fut traduit par Michel Rivelin et publié en 1974 sous le titre Les Monades Urbaines par Gérard Klein qui n’hésita pas à le sortir directement dans la collection dorée d’Ailleurs et Demain chez Robert Laffont, celles des classiques de la science-fiction.

Les Monades Urbaines se déroule en 2381. L’humanité compte alors 75 milliards d’individus, majoritairement répartis dans des tours-cités, hautes de 3 km et comptant un millier d’étages. Chacune abrite 800 000 habitants. Les terres qui entourent les tours sont libérées pour l’agriculture qui alimente les monades. Dans les monades, tout est recyclé. Le problème de la surpopulation ayant été résolu, il est bon de procréer et de fonder des familles nombreuses car on chérit autant la vie que Dieu.  « Là où naît l’ordre, naît le bien-être » disait Le Corbusier pour justifier de sa vision utopique de l’urbanisme moderne. Les monades de Silverberg, ces unités d’urbanisme, contiennent tout ce qu’il faut au bonheur. Personne n’y entre, personne n’en sort. Pourquoi vouloir en sortir ? Au contraire, être sélectionné pour aller peupler une nouvelle monade est vécu comme une punition.

Dans le premier des sept textes qui composent le roman, la monade 116 reçoit un visiteur venu de Vénus. Son guide, Charles Mattern, lui expose en détail le fonctionnement de sa monade ainsi que les mœurs en cours dans cette société. Ce regard extérieur permet à la fois à Silverberg d’exposer l’utopie mise en place et d’amener le lecteur à juger des failles. L’ordre est assuré par la foi en Dieu, Dieu soit loué, et la pression sociale exercée dans cette société hiérarchisée. Les « anomo », qui refusent l’ordre social et les règles de la société, représentent un danger et sont tout simplement éliminés. Pour être un citoyen heureux et méritant, il faut procréer. La sexualité est totalement libérée. La science-fiction souvent ne parle que du présent, de son époque, et Silverberg écrit Les Monades urbaines en pleine libération sexuelle à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix. Il s’agit d’un roman qui se saisit frontalement de la question sexuelle. Les descriptions y sont crues et le langage utilisé est mécanique. Les couples sont mariés dès l’âge de 12 ans et la sexualité est précoce. Lors de « promenades nocturnes, chacun, homme et femme (bien qu’il soit de tradition que ce soit l’homme qui se balade), peut entrer dans un appartement de nuit et coucher avec qui lui sied. Il est de bon ton de ne jamais refuser à quiconque ce droit. La société ne peut laisser les tensions, notamment sexuelle, menacer le bon équilibre et la pratique d’une sexualité libre est vue comme nécessaire à son bon fonctionnement. Le tout ressemble beaucoup au fantasme très masculin du corps disponible qui jamais ne se refuse.

La conséquence immédiate de ceci est une perte totale du droit de disposer de soi-même et de son corps. Cette dépossession du corps atteint son paroxysme symbolique dans le châtiment réservé aux anomo. Ils sont simplement jetés dans « la chute », c’est-à-dire aux ordures comme n’importe quel autre déchet, et recyclés. Dans le même ordre d’idée, l’intimité n’existe pas. Tout se fait publiquement, aux yeux de tous. Silverberg pousse la logique et l’on défèque en public dans les monades. L’auteur n’avait pas imaginé la reconnaissance faciale généralisée mais il a placé des détecteurs dans les monades qui suivent les individus dans leurs déplacements et permettent de les retrouver.

Une fois l’amorce faite, les six autres textes vont battre en brèche l’utopie clamée en confrontant différents personnages à la réalité dystopique des monades. Si le bonheur est un impératif, une obligation sociale, personne n’est véritablement heureux. Ce qui est remarquable dans le roman de SIlverberg est que le système oppressif ne repose pas sur une idéologie politique totalitaire. Il n’y a pas un dictateur au sommet qui impose, à l’inverse du roman La Maison des étages de Jan Weiss, ou un Big Brother comme dans 1984 de George Orwell. Nous sommes plus proches du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley avec ses administrateurs. Dans Les Monades Urbaines, le totalitarisme est imposé par l’ordre social né de la pression démographique et le sens commun de ce qui est bon pour la monade urbaine ou non. Silverberg parle de conditionnement psychologique, voire de sélection génétique au cours de générations. Les individus troublés subissent un réajustement thérapeutique, une reprogrammation éthique. Tous les personnages choisis par Silverberg craqueront d’une manière ou d’une autre face à la pression, aux fausses vérités, à des émotions qui n’ont plus cours, à un sentiment de ne pas complètement appartenir à la société. Au sentiment de ne plus s’appartenir soi-même.

« Maintenant je sais pourquoi on devient anomo. (C’est sa propre voix. C’est lui, Sigmund qui parle.) Un jour, on ne peut plus le supporter. Tous ces gens collés à votre peau. On les sent contre soi. Et…

[…]

Je commence à ne plus m’appartenir, explique Sigmund. Le futur s’effiloche. Je suis déconnecté.

[…]

Peut-être que Dieu était ailleurs aujourd’hui. »

Dans le cas de Sigmund, la conclusion est radicale. Il s’agit de l’expression ultime d’un libre arbitre dont le monde des monades urbaines est totalement dépourvu et le livre se referme sur son suicide.

Si la science-fiction ne parle que du présent, il est temps de relire Les Monades urbaines alors que NEOM nous est présenté comme une utopie radieuse en matière d’urbanisme et d’avenir de l’humanité. À l’évidence, le contexte est différent et nulle libération sexuelle n’est au programme dans le projet porté par l’Arabie Saoudite. Mais l’on peut s’interroger sur les effets de son exact contraire qui soulève tout autant la question du droit de disposer de soi-même. Le roman de Robert Silverberg questionne la place de l’individu, sa solitude dans la promiscuité et les névroses qui en découlent, dans une société renfermée sur elle-même et soumise à une pression sociale intérieure intenable. C’est aussi la question soulevée par le projet NEOM.

PS : Alain Musset, géographe et auteur de l’essai Station Metropolis direction Coruscant dans la collection Parallaxe chez Le Bélial’, réagit sur le projet NEOM dans un entretien filmé pour le magazine Numerama et disponible en suivant ce lien.


  • Titre : Les Monades urbaines
  • Auteur : Robert Silverberg
  • Dernière édition : octobre 2016, Robert Laffont, coll. Pavillons poche
  • Traduction : Michel Rivelin
  • Nombres de pages : 352
  • Support : papier et numérique

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L’Œuf du dragon – Robert Forward

Dans une rare interview donnée chez notre ami Gromovar, Greg Egan affirmait que « le vrai pouvoir de la SF vient de ce qu’elle n’a pas à parler tout le temps de nous. » Voilà qui ne cessera de faire s’émouvoir ceux qui estiment que l’objet de la littérature est et doit être l’humain. Il existe, dans un recoin du genre, une hard-SF dont le point de focalisation n’est pas l’Homme mais la science. Robert Forward, né en 1932 et mort en 2002, est un physicien américain, spécialiste des ondes gravitationnelles et d’ingénierie spatiale. Il est aussi l’auteur d’une dizaine de romans de science-fiction qui revendiquent tous des visées pédagogiques à l’endroit des sciences. Son premier roman est Dragon’s Egg, publié en 1980 et traduit en France sous le titre L’Œuf du dragon en 1984 dans la collection Ailleurs et Demain chez Robert Laffont. Il obtenu le prix Locus du meilleur premier roman en 1981.

Pour écrire ce roman, Robert Forward dit avoir été inspiré d’une part par le roman Mission of Gravity (1954) de Hal Clement dans lequel l’auteur imagine la vie à la surface d’une planète où la gravité varie de 3 fois celle de la Terre à l’équateur jusqu’ à 700 fois à ses pôles ; et d’autre part par une interview de Frank Drake publiée dans le magazine Astronomy en décembre 1973, dans laquelle l’astrophysicien spécialiste de la recherche de vies extraterrestres suggère la possibilité d’une vie à la surface d’une étoile à neutrons.

En 2020, une équipe d’astronomes découvrent l’existence d’une étoile à neutrons se déplaçant selon une trajectoire qui l’amène à passer à seulement 250 unités astronomiques (soit 250 fois la distance Terre-Soleil) de notre système. Saisissant l’opportunité unique de pouvoir étudier de près un tel objet, une expédition scientifique est envoyée à sa rencontre en 2050. Voilà qui rappelle le point de départ d’un autre roman considéré comme l’un des piliers  de la hard-SF, Rendez-vous avec Rama d’Arthur C. Clarke (1973). L’œuf du dragon, nom donné à cette étoile morte, fait ici figure de Big Dumb Object traversant le système solaire et éveillant la curiosité des scientifiques. Notez que l’utilisation de ce trope répond à une obligation de crédibilité scientifique. Des auteurs comme Robert Forward et Arthur C. Clarke savent que l’espace est grand et que la probabilité d’y voyager loin est très faible dans l’état actuelle de nos connaissances et de nos technologies. Si on ne peut voyager jusqu’aux mondes extraterrestres, il faut qu’ils viennent à nous. Mais contrairement au Rama du roman de Clarke, et répondant à la suggestion de Drake, l’œuf du dragon n’est pas inhabité. Très rapidement, les scientifiques découvrent qu’une civilisation intelligente, les cheela, s’est développée à sa surface, là où règne une gravité 67 milliards de fois celle de la Terre et un champ magnétique d’un milliard de gauss (environ 0,5 gauss sur Terre). Ces conditions physiques très particulières et extrêmes s’il en est ont des conséquences importantes sur les formes de vie qui peuvent s’y développer. La matière à la surface de l’étoile à neutron est dégénérée : elle n’est plus faite d’atomes avec leur cortège électronique et de molécules, mais de noyaux atomiques dans une mer d’électrons libres. La densité et la force des interactions nucléaires fait que si le corps d’un individu cheela est composé d’à peu près autant d’atomes que celui d’un être humain, il fait la taille d’une graine de sésame. De plus, son évolution est un million de fois plus rapide que celle des humains, son espérance de vie n’est que de 45 mn, et pour les humains, les cheelas semblent vivre en accéléré. (Cette distorsion du temps n’est pas due à des effets relativistes comme on le lit parfois dans les recensions sur ce roman. La gravité très forte à la surface de l’étoile au contraire implique que le temps y passe plus lentement.) En quelques jours, les scientifiques terriens vont assister à l’équivalent de milliers d’années d’évolution de la civilisation cheela jusqu’à un final tout à fait réjouissant.

Voilà les bases de l’aventure dans laquelle Robert Forward entraine ses lecteurs. L’essentiel du roman, depuis son premier chapitre qui décrit la formation de l’étoile à neutron il y a 500 000 ans, est consacré à décrire la civilisation cheela. Le point de vue humain n’intervient que très peu, les personnages ne sont pas développés, ils n’ont que des prénoms et des fonctions, et les chapitres qui leur sont consacrés ne servent qu’à expliquer en termes scientifiques les événements qui se déroulent à la surface de l’œuf. Du côté des cheelas, on ne s’intéresse pas vraiment non plus aux individus, car ceux-ci se succèdent trop rapidement les uns les autres et c’est une série de petites histoires individuelles qui composent celle de la grande civilisation. Par nécessité de communication d’un récit compréhensible pour un lecteur humain, les pensées et comportements des cheelas sont anthropomorphisés. Cela fut parfois reproché à l’auteur. Mais il eut été difficile, et sans doute peu pédagogique, que de faire autrement.

L’Œuf du dragon est donc un roman sans personnage, qui ne parle pas de l’humain, mais uniquement de science et imagine quelle forme pourrait prendre la vie dans des conditions extrêmes. Robert Forward lui-même reconnait avoir écrit un manuel déguisé sous forme d’un roman. Et c’est malgré tout passionnant. C’est un roman court, quelque 250 pages accompagnées d’un appendice technique qui reprend toutes les bases scientifiques disséminées dans le texte, qui raconte une civilisation en accéléré. Certes, on pourra lui faire maints reproches. Manque de psychologie, sécheresse de l’écriture, c’est-à-dire ceux qui reviennent souvent lorsqu’on parle de hard-SF orientée vers l’exploration scientifique brute. Mais combien de fois dans votre vie aurez-vous l’occasion de vous promener à la surface d’une étoile à neutrons ?

Et bien réjouissez vous, car vous en aurez l’occasion très bientôt car les éditions Mnémos ont choisi de rééditer ce roman le 22 mars 2023, sous une traduction révisée et présentée par Olivier Bérenval. Il est à noter que le texte avait bien besoin d’une révision car l’édition originale est truffée de fautes, de typos, et de choix de traduction maladroits. Un bon nettoyage s’imposait.


D’autres avis : Apophis,


  • Titre : L’Œuf  du dragon
  • Auteur : Robert Forward
  • Publication originale : 1980
  • Publication française : 1984, Robert Laffont, coll. Ailleurs et demain ; 1990, Livre de poche
  • Traduction : Jacques Polanis
  • Nombre de pages : 296
  • Support : papier

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The Voyage that Lasted 600 Years – Don Wilcox

Je vous proposais récemment un retour en arrière, une décente vertigineuse dans les tréfonds de la grande bibliothèque de la science-fiction, autour du thème des vaisseaux générationnels avec deux articles consacrés à Spacebred Generations de Clifford D. Simak, et Stardust & The Wind Blows Free de Chad Oliver. Ces quelques sondages archéologiques ne sauraient révéler une stratigraphie complète si je n’évoquais pas le tout premier texte écrit dans la thématique.

Publié dans la revue Amazing Stories en octobre 1940, « The Voyage that Lasted 600 Years » de Don Wilcox est souvent présenté comme la première histoire de fiction basée sur le concept de vaisseau générationnel. Le titre de premier est toujours discutable. Le site ISFDB recense deux textes mentionnant le concept publié avant « The Voyage » :

« The Living Galaxy » de Laurence Manning publié en 1934 dans Wonder Stories, mais dont le sujet n’est pas une arche générationnelle mais l’expansion de l’humanité dans l’univers pendant 500 millions d’années, notamment en déplaçant une planète entière grâce à la propulsion atomique (idée reprise par Liu Cixin dans Terre Errante (2000)).

« Proxima Centauri » de Murray Leinster publié dans Astounding Stories en mars 1935. Le gigantesque vaisseau Adastra, est parti de la Terre vers Proxima du centaure pour un voyage d’une durée de sept années. Quand bien même des enfants sont nés à bord, que le vaisseau est un monde autosuffisant en soi, et que des mutineries éclatent à son bord, on ne peut pas parler d’arche générationnelle.

« The Voyage that Lasted 600 Years » serait donc bien comme le premier texte à faire du vaisseau générationnel le concept central du récit. À ma connaissance, il n’a jamais été traduit.

Trente générations se succèdent à bord du S.S. Flashaway avant qu’il n’arrive à sa destination, les planètes Robinello, à la fin d’un voyage prévu pour durer 600 ans. Un seul homme, le professeur Gregory Grimstone, vit l’intégralité du voyage. En tant que Gardien des Traditions, il est placé en hibernation et réveillé tous les cent ans, de manière à s’assurer de la bonne marche du vaisseau mais aussi que les générations intermédiaires n’oublient pas le but du voyage. (Notez que cette idée à été reprise par Adrian Tchaikovsky dans le roman Dans la toile du temps.) Je le soulignais dans les deux articles précédents, la question des générations intermédiaires, celles qui vont subir le Long Voyage malgré elles et n’en tirer aucune gloire, est celle qui occupe les auteurs de science-fiction depuis… et bien depuis ce tout premier texte.

Vous vous en doutez bien, les choses ne se passent pas comme prévu par le plan initial et à chaque réveil, Grimstone devra faire face à une détérioration de la situation à bord du Flashaway. À son départ de la Terre en 2066, le vaisseau emporte seize couples et, accidentellement, deux personnes supplémentaires : Broscoe, un journaliste qui n’est pas redescendu à temps, et Louise, la fiancée de Grimstone montée à bord pour lui dire au revoir. Le texte ne manque pas d’humour, jusque dans son dénouement.

Dès son premier réveil, Grimstone apprend que Broscoe a eu des enfants Louise et qu’une trentaine de leurs descendants vit à bord. Mais surtout, il doit faire face à la première crise qui est celle de la surpopulation. Le vaisseau compte désormais plus de 200 personnes au lieu des 100 prévus pour maintenir une population stable dans les limites des capacités du vaisseau. Deuxième réveil, la population est de 800…

Au fur et à mesure du voyage, la situation se dégrade. Des factions se forment, des conflits éclatent. Pire, une génération décide de faire demi-tour ! À chaque fois, Grimstone doit intervenir, imposer des règles, faire cesser les conflits, parfois en usant de violence. Avec le temps, son nom est maudit, il devient l’ogre dont le nom est invoqué par les parents pour effrayer leurs enfants. Il est une créature issue d’un passé dont personne ne se souvient et dont personne ne veut se souvenir. Il n’appartient plus à leur monde. Tout va de mal en pis, jusqu’au dénouement de l’histoire, à l’arrivée du vaisseau. La fin est ironique et a inspiré à Chad Oliver la nouvelle « Stardust », et à E.A. van Vogt la nouvelle « Destination Centaure » publiée dans Astounding en 1944. Rien que ça.

C’est peu dire que « The Voyage that Lasted 600 Years » a été un texte novateur. Avec lui, Don Wilcox a créé une thématique devenue depuis l’un des tropes les plus utilisé dans la littérature de science-fiction. Un texte fondateur donc.

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