SobriĂ©tĂ© numĂ©rique, Ă©nergĂ©tique, bibliothĂšque verte, Ă©co-gestes⊠le vocable pour dire quâon est globalement dans la panade ne manque pas. Mettons un col roulĂ© et observons ce que les bibliothĂšques peuvent faire pour sâengager sur le terrain de la sobriĂ©tĂ© numĂ©rique. Je laisse volontiers de cĂŽtĂ© les autres aspects de la bibliothĂšque verte qui sont dĂ©jĂ abordĂ©s par dâautres Ă©tablissements (poke la mĂ©diathĂšque de La CanopĂ©e ). Je prĂ©fĂšre parler de ce que je connais.
Infra, souveraineté et dépendance
En parlant dâĂ©cologie et de numĂ©rique, on pourrait avoir tendance Ă ne penser quâaux usages ou quâĂ ce qui transitent dans les tuyaux (bouh les vidĂ©os de chats !). Mais nos usages numĂ©riques ne seraient rien sans les infrastructures physiques qui permettent de stocker, diffuser ou distribuer les paquets qui circulent Ă lâintĂ©rieur. Lâensemble de ces Ă©quipements (serveurs, cĂąble, routeurs, commutateurs, datacenterâŠ), de leur conception Ă leur acheminement en passant par leur entretien nĂ©cessitent de lâĂ©nergie et des ressources. A titre dâexemple, Apple indiquait dans un rapport de 2019 que la fabrication dâun MacBook pro de 16 pouces reprĂ©sentait 75% de lâempreinte carbone de lâordinateur. Les 25% restant sont dĂ©diĂ©s au transport (5%), lâutilisation (19%) et la fin de vie (1%). La prise en compte de lâempreinte carbone des usages numĂ©riques est manifestement compliquĂ©e parce que plusieurs critĂšres sont Ă prendre compte pour pouvoir rĂ©ussir Ă Ă©valuer de façon globale lâimpact carbone.
Quâon se le dise, en tant que bibliothĂšques, nous avons peu de marge de manĆuvre sur toute une partie de nos infrastructures informatiques. Nous dĂ©pendons essentiellement des choix de nos prestataires. Notons toutefois que certaines DSI font le choix dâinstaller des VPS (serveur virtuel privĂ©) pour hĂ©berger certaines applications mĂ©tiers. VĂ©rifiez par vous-mĂȘme oĂč est hĂ©bergĂ© votre portail via https://sitechecker.pro . AprĂšs quelques recherches, non exhaustives, il apparaĂźt que les plus gros Ă©diteurs de bibliothĂšques hĂ©bergent les services en ligne de leurs clients en France. Ce qui pouvait ĂȘtre un argument commercial en mode « Made in France » il y a quelques annĂ©es est devenu une obligation avec le RGPD . Lâabandon du Privacy Shield en juillet 2020 qui encadrait les transferts de donnĂ©es transatlantique a dĂ» contraindre les quelques prestataires qui auraient eu lâidĂ©e dâhĂ©berger les donnĂ©es de leurs clients sur le sol amĂ©ricain. (Jâimagine que ça ne devait pas courir les rues non plus).
Cependant, cette question nâest pas si anodine que ça. Evidemment recourir Ă des hĂ©bergeurs comme Google, Amazon ou Microsoft (coucou le Health Data Hub ), câest loin dâĂȘtre idĂ©al sur le plan Ă©thique ou en matiĂšre de souverainetĂ©. Mais du point de vue de lâimpact Ă©cologique, est-ce que les fournisseurs de services dâhĂ©bergement français sont aussi efficaces quâun Google qui dĂ©clare ĂȘtre neutre en carbone depuisâŠ2007 ?
Nous avons Ă©tĂ© la premiĂšre entreprise de grande envergure Ă parvenir Ă la neutralitĂ© carbone et Ă compenser 100 % de notre consommation annuelle dâĂ©lectricitĂ© par des Ă©nergies renouvelables.
https://sustainability.google/intl/fr/carbon-free/#climate-action
Bon Ă©videmment, vous vous doutez bien que je ne vais pas faire la promotion des GAFAM. Mais câest important dâune part, de connaĂźtre ses adversaires, et dâautre part, de les critiquer sur des arguments factuels. Et fort heureusement pour nous, nous ne sommes pas obligĂ©s de recourir aux services des gĂ©ants de la tech car il existe des acteurs en France qui permettent de faire coĂŻncider Ă©cologie et numĂ©rique. Je pense notamment Ă une entreprise comme Clever Cloud qui a annoncĂ© par exemple un partenariat avec un tiers pour valoriser la chaleur produite par leurs infrastructures.
Les serveurs, distribuĂ©s partout sur le territoire, sont directement installĂ©s dans des bĂątiments ou des sites oĂč la chaleur fatale informatique produite pourra ĂȘtre valorisĂ©e : logements, rĂ©seaux de chaleur, piscines, entrepĂŽts logistiques⊠Ils sont ainsi distribuĂ©s dans la ville sous forme de clusters de calcul aux consommations dâĂ©nergie largement rĂ©duites en comparaison de datacenters traditionnels
HTTPS://WWW.CLEVER-CLOUD.COM/FR/BLOG/PRESSE/2022/09/28/CLEVER-CLOUD-TRAVAILLE-AVEC-LE-FRANCAIS-QARNOT-COMPUTING-POUR-DE-LA-PUISSANCE-DE-CALCUL-RESPONSABLE-VALORISANT-LA-CHALEUR-FATALE/
Je vous vois dĂ©jĂ me dire « oui mais ton Clever Cloud, câest qui, comment ça marche ». Et vous nâavez pas tout Ă fait tort. Je ne suis pas en capacitĂ© de dire si des Ă©diteurs de logiciels de bibliothĂšques ont actuellement recours aux services de Clever Cloud. (NâhĂ©sitez pas Ă vous manifester dans les commentaires si câest le cas). En revanche, en regardant les hĂ©bergeurs utilisĂ©s par nos prestataires, on peut noter une volontĂ© de prendre en compte la problĂ©matique environnementale de lâactivitĂ© numĂ©rique. Lâentreprise C3rb fait appel aux services de la sociĂ©tĂ© Fullsave qui indique sur son site que leur « backbone dispose dâune technologie de multiplexage en longueur dâonde (DWDM) avec des Ă©quipements passifs, qui ne nĂ©cessite aucune alimentation Ă©lectrique et qui ne dissipe pas de chaleur ». Ăa ne nous indique pas vraiment si ses datacenters sont de vĂ©ritables mines de charbon ou neutres sur le plan carbone. On peut espĂ©rer que sa politique environnementale sâapplique Ă lâensemble de ses services mais on ne peut sâappuyer que sur du dĂ©claratif. De son cĂŽtĂ©, le prestataire OVH utilise une technique de watercooling pour refroidir ses infrastructures. Dans le mĂȘme genre, lâentreprise SIGMA , hĂ©bergeur utilisĂ© par les BM de Nantes, utilise un systĂšme de refroidissement qui utilise lâair extĂ©rieur pour refroidir les serveurs afin de limiter lâempreinte Ă©cologique du datacenter .
Tout cela est bien gentil mais force est de constater quâon nâa pas la possibilitĂ© dâĂ©valuer rĂ©ellement ce quâindique ces entreprises ni de choisir mais en revanche on peut avoir des Ă©co-gestes bibliothĂ©conomiques qui contribuent Ă rĂ©duire lâimpact carbone des outils quâon propose Ă nos publics.
Comment faire le colibri ?
Les outils de mesures dâaudience
Afin de mesurer le trafic sur nos portails, on dĂ©ploie des outils de mesure dâaudience. Google analytics est souvent la solution privilĂ©giĂ©e (pour de simples raisons Ă©conomiques) mais qui est juridiquement risquĂ©e si vous continuez Ă lâutiliser Ă moins que vous ayez mis en place un systĂšme de proxy . Si câest du charabia pour vous, demandez Ă retirer Google Analytics pour rester dans les clous.
Il existe des alternatives qui sont RGPD compatibles et qui fonctionnent avec un fichier de moins de 1 Ko. Câest le cas du logiciel Plausible qui est 45 fois plus petit que le script Google Tag (et respecte la vie privĂ©e des internautes).
Les services de police
De nombreux sites web font dĂ©sormais appel Ă des services tiers pour afficher une police customisĂ©e. En effet, pour amĂ©liorer lâesthĂ©tique du site, on aura tendance Ă choisir la police qui va bien. Quelques services dominent le secteur, on peut citer pĂȘle-mĂȘle Google Fonts ou Font Awesome . ConcrĂštement, cela signifie que le site web nâhĂ©berge pas la police choisie mais effectue une requĂȘte auprĂšs du serveur du service tiers au moment du chargement de la page pour afficher la police. Moins, il y a de requĂȘtes effectuĂ©es, moins lâempreinte carbone est importante .
Des illustrations légÚres
Le temps de chargement dâune image est proportionnel au poids du fichier. Par consĂ©quent, on oublie les images de plusieurs Mo qui vont nĂ©cessiter plus de bande passante pour sâafficher. Pour allĂ©ger vos images, des outils comme TinyJPG existent. De mĂȘme, une bonne habitude concernant les images consistent Ă les afficher uniquement quand câest nĂ©cessaire. GrĂące Ă lâattribut HTML « loading » et le paramĂštre « lazy », les images prĂ©sentes sur une page web ne sâafficheront que quand lâinternaute interagira avec en scrollant la page par exemple. Ainsi, cela permet dâĂ©conomiser de la bande passante et par extension des ressources.
Des régies publicitaires
Je ne ferai pas de name & shame mais dans la prĂ©paration de cet article, jâai pu tomber sur des sites de mĂ©diathĂšques qui intĂ©graient la rĂ©gie publicitaire DoubleClick. Preuve avec les captures dâĂ©cran suivantes :
Bon ben ça, on retire hein ! Je sais trĂšs bien quâil ne sâagit pas forcĂ©ment dâun choix des bibliothĂšques concernĂ©es mais plutĂŽt de la part de lâĂ©diteur du portail. Jâai constatĂ© la prĂ©sence de cette rĂ©gie le mĂȘme fournisseur. AllĂŽ la CNIL, câest pour un signalementâŠ
Bloquer les pubs et les pisteurs
Cette recommandation est valable pour les ordinateurs pros, les ordinateurs publics et mĂȘme vos appareils personnels. En bloquant les rĂ©gies publicitaires et les traqueurs, vous rĂ©duirez la taille des pages web. Et vous empĂȘcherez les serveurs qui hĂ©bergent les trackers pour vous pister de tourner et consommer de lâĂ©nergie pour rien (et câest valable mĂȘme sâils sont alimentĂ©s avec des Ă©nergies renouvelablesâŠ). Je vous recommande dâinstaller les extensions uBlock Origin et Privacy Badger . Je vous invite Ă regarder la vidĂ©o ci-dessous pour comprendre comment les bloqueurs de pubs peuvent rĂ©duire la taille dâune page web.
Puisquâon aborde la question des navigateurs, continuons avec la fonctionnalitĂ© prefetch. Par dĂ©faut ces derniers activent le prĂ©-chargement des liens prĂ©sents sur un site web afin de charger plus rapidement la page vers laquelle pointe le lien hypertexte afin de donner un sentiment de rapiditĂ© dâouverture. Cependant, lâinternaute ne choisira peut-ĂȘtre pas de cliquer sur le lien et donc la page aura Ă©tĂ© chargĂ©e pour rien. Consommation de ressource inutile tout ça, tout ça. Dans Firefox, on peut dĂ©sactiver ce paramĂštre de la façon suivante :
Dans la barre dâadresse, saisir about:config (sous le message dâavertissement, cliquez sur « Accepter le risque et poursuivre », dans la barre de recherche saisir la prĂ©fĂ©rence « network.prefetch-next » et basculer la valeur sur « false ».
Enrichissement de notices et fournisseurs de vignettes
Pour vos couvertures ou vos jaquettes, vous faites trĂšs certainement appel Ă un fournisseur de service : adav, gamannecy, distrimage⊠Pour que ces contenus sâaffichent sur votre portail, une requĂȘte http est effectuĂ©e sur les serveurs de ces fournisseurs. A ce moment trĂšs prĂ©cis de mon explication, vous vous dĂźtes « ah jâai compris, câest une requĂȘte inutile, câest comme pour les polices vu prĂ©cĂ©demment ! ». Sur le principe, câest juste. Mais Ă moins dâhĂ©berger chaque image de couverture et de penser Ă les supprimer une fois que vous avez pilonnĂ© le document, il nây a pas vraiment dâautres solutions. Ce serait ingĂ©rable dans la gestion courante des collections. Et surtout, câest sans compter sur une fonctionnalitĂ© importante des navigateurs qui est la mise en cache.
La mise en cache est une technique qui stocke une copie dâune ressource donnĂ©e et la renvoie quand elle est demandĂ©e. Quand un cache web a une ressource demandĂ©e dans son espace de stockage, il intercepte la requĂȘte et renvoie sa copie au lieu de la re-tĂ©lĂ©charger depuis le serveur dâorigine.
https://developer.mozilla.org/fr/docs/Web/HTTP/Caching
Accompagner les usagers
Si on peut avoir une rĂ©flexion sur lâempreinte carbone de nos services en ligne, il ne faut pas exclure les services numĂ©riques quâon propose dans nos murs. A travers les collections et les ateliers quâon propose Ă nos publics, nous pouvons Ă©galement sensibiliser et accompagner les usagers qui souhaiteraient rĂ©duire lâempreinte carbone de leurs usages numĂ©riques. Cela peut se traduire par une sensibilisation aux logiciels libres et lâintĂ©rĂȘt dâutiliser un systĂšme dâexploitation comme Linux qui permet de prolonger la durĂ©e de vie des Ă©quipements informatiques. En effet, des distributions comme Xubuntu, Linux Lite ou ZorinOS Lite sont particuliĂšrement adaptĂ©es Ă des ordinateurs qui commencent Ă prĂ©senter des signes de fatigue. En organisant des install party , animĂ©es par des mĂ©diateur-trices numĂ©riques ou en partenariat avec des associations de promotion des logiciels libres, vous permettrez Ă des usager-Ăšres de ne pas avoir Ă racheter du matĂ©riel informatique et rĂ©pondrez ainsi Ă la recommandation de lâADEME qui indique quâen passant de 2 Ă 4 ans dâutilisation dâun mĂȘme Ă©quipement, on « amĂ©liore de 50% son bilan environnemental. »
Et le DIY, les fab lab, câest Ă©cologique ça ?!
La mode est au DIY et invite Ă repenser nos modes de consommation caractĂ©risĂ©e par une satisfaction immĂ©diate et illimitĂ©e des besoins construits artificiellement par des marketeux en cravate. La thĂ©matique du faire soi-mĂȘme nâa pas Ă©pargnĂ© les bibliothĂšques et les cas dâĂ©tablissements qui proposent des espaces de fabrication numĂ©rique tĂ©moignent de cette dynamique. Mais lâimpression de bouts de plastique est-elle rĂ©ellement compatible avec lâurgence climatique que nous vivons ? Entre les composants Ă©lectroniques, les planches de bois, la consommation Ă©lectrique des Ă©quipements (plotter, fraiseuse, impression 3d, dĂ©coupe laserâŠ), les pollutions rejetĂ©es par les machines (le plotter de dĂ©coupe gĂ©nĂšre des poussiĂšres, des fumĂ©es et des particules de produits polluants), lâimpact Ă©cologique mĂ©rite donc dâĂȘtre pris en compte.
On vente souvent les louanges du DIY, lâachat de composants Ă©lectroniques fabriquĂ©s en Chine puis importĂ©s par containers, cela a un coĂ»t Ă©cologique rĂ©el. Le mythe du DIY mĂ©rite dâĂȘtre dĂ©construit. Pour crĂ©er une boĂźte Ă histoires lues, un distributeur dâhistoires courtes, un dĂ©tecteur de CO2 pour favoriser lâaĂ©ration dâune piĂšce, il faut commander des piĂšces dans des quantitĂ©s minimes au regard du coĂ»t de production et de celui du transport. Or, acheter ces produits rĂ©alisĂ©s de façon industrielle permet de rĂ©duire ces coĂ»ts. Si le capitalisme nous dirige droit dans le mur, il a aussi lâavantage de rationaliser la production et les coĂ»ts (Ă©conomiques mais aussi Ă©cologiques).
Que les choses soient claires, je ne juge pas mais jâinvite Ă la rĂ©flexion. Si on souhaite collectivement, au nom de la profession, sâintĂ©resser aux enjeux Ă©cologiques et contribuer Ă la lutte contre le changement climatique, il me paraĂźt nĂ©cessaire dâĂȘtre honnĂȘte et de pouvoir faire son autocritique. On peut envisager de faire du DIY avec de la rĂ©cup en rĂ©cupĂ©rant du bois du mobilier ou des composants Ă©lectroniques de matĂ©riels qui en contiennent (vieux ordinateurs, jouets, appareils Ă©lectroniques mis au rebus) plutĂŽt que de commander chez GoTronic, Snootlab ou RS⊠Câest plus complexe et plus contraignant. Mais les vagues de chaleur, le manque de ressources et les consĂ©quences du bouleversement climatique que nous nâavons pas encore entiĂšrement mesurĂ©es sont pas mal contraignantes aussi. Si on veut que la bibliothĂšque soit au cĆur de la citĂ©, un espace de participation aux dĂ©bats de sociĂ©tĂ©, de contribution et dâexpression de la parole citoyenne, on ne peut pas faire fi de ces questionnements. Nous devons intĂ©grer ces rĂ©flexions dans notre pratique professionnelle pour faire en sorte que le concept de bibliothĂšque verte ne se transforme pas en greenwashing .