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À partir d’avant-hierSF

Après nous les oiseaux – Rakel Haslund

Par : FeydRautha
3 avril 2023 à 13:42

Nouveau roman à paraître le 6 avril 2023 dans la collection Ailleurs et Demain chez Robert Laffont, Après nous les oiseaux fait partie de ces œuvres littéraires difficilement classables. Il s’agit du premier roman de Rakel Haslund, autrice danoise et traductrice du chinois, publié en langue originale en 2020. L’autrice a reçu pour ce roman le prix Michael Strunge, du nom du poète danois postmoderne qui mit fin à sa vie en 1986 en sautant du quatrième étage d’un immeuble après avoir prononcé les mots « maintenant je peux voler ». Il est utile de le mentionner dans cette chronique car le roman de Rakel Haslund peut être vu comme un hommage au poète disparu, jusque dans ses derniers mots.

On peut tout d’abord se demander si ce livre d’à peine 208 pages est vraiment un roman. Après nous les oiseaux est avant tout un long poème en prose. S’il se présente comme un livre de science-fiction post-apocalyptique – et on pense inévitablement à La Route de Cormac McCarthy à sa lecture – ses thématiques sont l’oubli, la solitude, la mort. Nous sommes ici plus proche d’En attendant Godot de Samuel Beckett que de Mad Max. L’action n’est pas le moteur du texte, soyez prévenus.

Après nous les oiseaux est le récit au présent – car le passé s’estompe et l’avenir ne sera pas – de la quête à la fois géographique et métaphysique d’une jeune femme seule dans un monde qui n’est plus, à la suite d’un événement cataclysmique dont on ne saura que peu de choses, et toujours indirectement. On devinera beaucoup.  Trop jeune pour se souvenir du monde d’avant, la jeune femme n’évoque que des souvenirs parcellaires, des paroles et des images qu’elle ne sait pas toujours interpréter et dont la gravité lui échappe souvent. La priorité du présent est à la survie avant tout. La jeune femme se rappelle, presque comme des mantras qu’elle se répète, des mots qui lui ont été livrés par une compagne disparue, dont on devine qu’il s’agit d’une mère. Et lorsque les mots viennent à lui manquer, c’est au lecteur de combler les trous. Après nous les oiseaux est aussi un texte sur le langage, les mots et leur symbolique. C’est dans le travail de lecture et d’interprétation qui est demandé au lecteur que petit à petit une histoire se recompose et que la véritable dimension horrifique du récit prend forme. Si pendant longtemps le texte apparait comme contemplatif et poétique, à mesure qu’on avance, de chapitre en chapitre, une peinture plus vaste se révèle. Le roman devient alors immensément perturbant. On réalise alors qu’on ne peut plus faire confiance aux mots, ni à la jeune femme, et que ceux-ci cachent des images qui dérangent et viennent hanter la fin du livre, et les heures qui suivent sa lecture. Après nous les oiseaux est un texte sombre, très sombre, qui se découvre lentement. Mais c’est un texte poétique et beau comme une fin du monde.


D’autres avis : le Dragon Galactique, Au Pays des Cave Trolls,


  • Titre : Après nous les oiseaux
  • Autrice : Rakel Haslund
  • Traduction : Catherine Renaud (danois)
  • Publication : 6 avril 2023, Robert Laffont, coll. Ailleurs et Demain
  • Nombre de pages : 208
  • Support : papier et numérique

L’Antre – Brian Evenson

Par : FeydRautha
8 janvier 2023 à 14:59

À la suite du roman Immobilité de Brian Evenson publié chez Rivages, intéressons-nous à la novella L’Antre du même auteur, publié chez Quidam. Comme je vous le disais dans la chronique précédente, les deux textes ont beaucoup en commun et forment un diptyque. Le roman fut publié en version originale en 2012 et la novella en 2016. C’est dans cet ordre qu’il est préférable de les lire car le roman précède chronologiquement la novella qui constitue une suite se déroulant quelques dizaines d’années plus tard, soixante-dix ans voire plus. Le personnage principal d’Immobilité, nommé Horkaï, reparait dans L’Antre sous le nom d’Horak. Enfin, de nombreux éléments de l’univers dans lequel le récit se situe sont expliqués dans le roman mais pas dans la novella. La raison pour laquelle ces deux textes sont publiés le même mois par deux maisons différentes fait partie des mystères de l’édition française. Si cela ne fait aucun sens du point de vue éditorial, les lecteurs que nous sommes ne se plaindront pas d’avoir les deux à disposition dans le même temps.

Les années ont passé depuis Immobilité, mais à l’évidence les choses ne se sont pas améliorées.  Le monde est encore un peu plus mort qu’il ne l’était déjà. Si Horkaï avait été éveillé pour se lancer dans une quête de sens et d’identité au sein d’un monde sans raison, le narrateur de L’Antre, simplement désigné par la lettre X, n’a même plus ce loisir. Il vit dans l’antre, un complexe sous-terrain, dans lequel il perpétue la vie, ni plus ni moins, selon un principe établi par un certain Aarskog et transmis jusqu’à lui par des générations successives (mais brèves, chaque individu vivant 5 ans en moyenne) jusqu’à son prédécesseur Wollen, et avant lui Vigus et Vagus. Les noms de chaque génération se succèdent selon l’ordre alphabétique. X est donc la 24e génération. (Selon ce décompte, nous serions au moins 120 ans après Immobilité.)

« J’œuvre contre moi-même. Certaines partie en moi sont prêtes à me trahir et je n’ai plus sur elles aucun contrôle évident, surtout si je m’endors. »

Mais voilà, X n’est pas seul dans sa tête. Littéralement. Il est une sorte de composite de plusieurs individus qui l’ont précédé. La question qui le préoccupe alors est de savoir s’il est un humain, une personne, ou plusieurs. Etre humain ou être une personne sont deux notions distinctes. C’est le Terminal de l’antre qui lui en fait la révélation. Découvrant l’existence d’une autre personne « conservée » en dehors de l’antre, X va aller réveiller Horak.

« Mais vous, dit-il enfin. Selon quelle définition prétendez-vous être une personne ? »

Avec L’Antre, Brian Evenson poursuit le questionnement initié dans Immobilité sur la nature humaine et la définition que l’on peut donner d’une personne (voire de la vie sentiente) en dehors de la biologie et de la capacité à se définir soi-même. L’Antre est un texte moins sombre que ne l’est Immobilité, mais on y retrouve la plume précise et féroce de l’auteur. Il est moins marquant aussi, mais il ouvre la réflexion à des territoires annexes, ce qui est beaucoup pour un texte si court.


D’autre avis : Gromovar, le Maki, Le Nocher des livres,


  • Titre : L’Antre
  • Auteur : Brian Everson
  • Publication originale : 2016, anglais [US]
  • Edition française : 6 janvier 2023
  • Traduction : Stéphane Vanderhaege
  • Nombre de pages : 110
  • Support : papier et numérique

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Immobilité – Brian Evenson

Par : FeydRautha
7 janvier 2023 à 12:11

Malgré une activité littéraire ininterrompue de l’auteur, il faut remonter à 2012, avec Baby Leg publié au Cherche Midi, pour trouver le dernier roman traduit en langue française de Brian Evenson. L’éditeur a aussi publié deux recueils de nouvelles La Langue D’Altmann et Un Rapport, respectivement en 2014 et 2017. L’auteur américain revient dans l’actualité chez nous avec ce mois-ci deux sorties : Immobilité, un roman de 272 pages publié dans la jeune collection Rivages/Imaginaire chez Rivages, et L’Antre, une novella de 110 pages, publiée chez Quidam. Incidemment, ces deux textes ont beaucoup en commun, et forment un diptyque. Etant publiés séparément par deux éditeurs différents, je scinde ma recension en deux chroniques distinctes. Je commencerai par vous parler d’Immobilité, qui est l’un des romans les plus déprimants que j’ai lus récemment.

Nous sommes dans un (no-) futur indéterminé et plus rien, ou si peu, vit encore à la surface de la planète transformée en champ de ruines stérile.  Le ciel, la terre et les eaux sont morts. Le taux de radiation présent dans l’air tue qui s’aventurerait au dehors en quelques heures, à moins qu’il ne soit protégé par une combinaison intégrale lui permettant de prolonger sa vie de…. quelques heures tout au plus. Quelques communautés humaines d’une poignée d’individus ont survécu, retranchées dans des ruines enterrées, ne sortant que lorsque la plus grande des nécessités s’impose. Josef Horkaï s’éveille, sorti d’un stockage cryogénique qui aura duré 30 ans, lui dit-on. Josef Horkaï n’a aucun souvenir de sa vie passée, ni du monde dans lequel il revient à la conscience.

Brian Evenson use de deux tropes dont la facilité comme argument romanesque habituellement m’exaspère : la Terre ravagée post-apocalyptique et le protagoniste amnésique. Mais l’auteur en fait fort bon usage. L’un et l’autre ont pour but de produire le dépouillement, la mise à nu de l’homme. Nous sommes sur une scène de théâtre entièrement vide, dont l’équivalent cinématographique serait – à plus d’un titre – Dogville de Lars von Trier (2003). Brian Evenson tend à l’épure. À ce dépouillement de faits, Brian Evenson adosse le froid et la rigueur d’un récit émacié et le minimalisme d’une écriture resserrée dans laquelle chaque mot porte le poids que lui confère sa rareté. La phrase se fait scalpel et dissèque, tranche et retire, pour ne laisser que l’os, révélant la profondeur de l’abîme.  Que reste-t-il d’un individu quand on lui a tout pris ? Comment se définit l’humain sans les béquilles de la civilisation, en l’absence de passé et d’avenir ? C’est la question que pose Brian Evenson dans ce roman qui n’est autre que la quête d’identité et de sens d’Horkaï, et à travers lui de l’humain.

«  Que sommes-nous alors ? 

– Nous sommes, tout simplement. Pourquoi n’est-ce jamais suffisant ? »

Horkaï, paraplégique, se voit confier une mission par la petite communauté qui l’a éveillé. Elle sera compliquée par le fait qu’il est paraplégique, mais il est aussi le seul, ou plutôt l’un des seuls, qui peut survivre aux radiations. En chemin, il rencontrera d’autres comme lui. Des frères ? L’homme est un loup pour l’homme et lorsque même les loups ont disparu il ne reste que la pourriture. Sans surprise, le personnage le plus sympathique qu’il rencontrera est aussi le plus nihiliste. Un spectateur qui choisit de se retirer du problème en embrassant l’indifférence. Evenson n’aime pas l’homme.

« Nous disons non à la torture, et nous trouvons une raison pour torturer au nom de la démocratie. Nous disons non à des milliers de morts par l’explosion d’une seule bombe sur une ville étrangère sans défense, puis nous recommençons avec des milliers de bombes cette fois-ci. Nous disons non à des millions de morts dans des camps d’extermination, puis nous revenons à la charge, avec des millions de morts dans des goulags. L’homme est un poison. Peut-être vaudrait-il mieux que nous n’existions pas du tout. »

Le chemin d’Horkaï lui imposera des choix à faire, des décisions à prendre sans qu’il ne possède les arguments nécessaires et suffisants. Pour cela, il lui faudrait démêler le vrai du faux dans un contexte où le vrai et le faux ne signifient plus rien. La férocité du mensonge qu’est l’humanité ne trouve pour équivalent que les atrocités que celle-ci est capable de commettre au nom de constructions et de croyances qui jamais ne parviennent à combler le vide ou à cacher l’inéluctable. Il le découvre, ils le savent, tout le monde sait, et continue à se mentir.  Puis, à la fin, on recommence. Le dernier chapitre creuse un trou au fond de l’abîme.

Vous voilà prévenus. Immobilité est d’une noirceur sans retour. Mais c’est brillant.


D’autres avis : Gromovar, Le Nocher des livres, Le Maki, Le Dragon galactique,


  • Titre : Immobilité
  • Auteur : Brian Evenson
  • Publication originale : 2012, anglais [US]
  • Edition française : 4 janvier 2023, Rivages, coll. Rivages/Imaginaire
  • Traduction : Jonathan Baillehache
  • Nombre de pages : 272
  • Support : papier et numérique

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Won’t you stay longer – Rich Larson

Par : FeydRautha
5 janvier 2023 à 13:59

Mille fois sur l’épaule d’Orion il fut dit déjà que Rich Larson était un écrivain de science-fiction aussi brillant que productif. Il vit dans un espace-temps différent du nôtre et, débordant d’idées et de mots pour les mettre en forme, parfois il emplit les nanosecondes laissés vacantes on en sait trop comment ni où, entre la publication d’une nouvelle, une rencontre-dédicace, et la sortie d’un roman en écrivant ce qu’il nomme une flash story. Ce sont toujours des perles souvent humoristiques qu’il livre à la lecture, des textes très courts mais denses comme une étoile à neutron.

Won’t you stay longer est l’un de ces textes dont on se régale en quelques minutes et qui laissent derrière eux la saveur douce et piquante d’un bonbon acidulé. Il peut se lire en ligne sur le site Metastellar en suivant ce lien. Il raconte les dernières heures de Jain et Stro, les deux derniers humains vivants sur une Terre ravagée. Je n’en dirais pas plus, cet article ayant plus pour but de vous informer de l’existence de cette très courte nouvelle de SF post-apocalyptique que d’en faire l’examen critique. Mais lisez, c’est très bien, avec en prime, comme toujours chez cet auteur, une chute à déguster.

*L’illustration utilisée en tête d’article n’est pas le travail d’un humain, mais a été générée par l’éditrice du site Metastellar Maria Korolov en utilisant le programme Midjourney. Dans ce cas, la démarche est en cohérence avec le texte qu’elle accompagne.

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L’Aube – Octavia E. Butler

Par : FeydRautha
12 novembre 2022 à 13:12

Régulièrement célébrée comme l’une des plus importantes plumes de la science-fiction américaine et récipiendaire des prix Hugo, Locus et Nebula à plusieurs reprises, Octavia E. Butler (1947-2006) est pourtant passée relativement inaperçue auprès du lectorat français. Sa série Patternist a été partiellement publiée en France dans les années 80 (le roman Wildseed, 1980, est toujours inédit chez nous) et il a fallu attendre les années 2000 pour que soient traduits la série des Paraboles et Liens de Sang. On doit à Marion Mazauric et à la maison d’édition Le Diable Vauvert de rendre à nouveau disponible son œuvre avec la réédition des textes déjà parus ainsi que la publication des inédits. C’est le cas avec L’Aube (Dawn, 1987), roman paru au mois d’octobre 2022, qui ouvre la trilogie Xenogenesis. Je ne vais pas y aller par quatre chemins, L’Aube est l’un des meilleurs romans de premier contact extraterrestre que j’ai lus.

Octavia E. Butler nous projette dans un futur qu’on pourrait définir par 1987 + 250 ans.  La guerre froide entre le bloc occidental et l’URSS a dégénéré en apocalypse nucléaire et l’humanité s’est suicidée. La planète Terre est ravagée. Lilith Iyapo se réveille nue dans une pièce entièrement blanche et dénuée de fenêtre ou de porte. La voix qui s’adresse à elle semble sortir du plafond. Lilith Iyapo se souvient. Elle s’est déjà réveillée plusieurs fois dans cette même pièce. Elle a déjà subi ce même interrogatoire. Elle a tour à tour résisté, elle s’est murée dans le silence et a failli en perdre la raison, puis elle a parlé, elle a questionné et n’a jamais reçu de réponse. Elle se souvient aussi de sa vie, de son mari et de son fils morts dans un accident, de la guerre. Elle se souvient de l’humanité d’avant. Elle s’éveille et enfin rencontre l’un de ses geôliers.

Celui-ci n’est pas humain. Il s’agit d’un Oankali, un humanoïde bipède dont les organes sensoriels tentaculaires le font ressembler à l’hydre ou à une créature marine et déclenche chez Lilith une réaction de panique et de dégoût profondément ancrée dans l’instinct humain. Ce qu’il lui révèle sur la raison de sa présence ici est à la fois monstrueux et fascinant. Les Oankali ont sauvé ce qu’ils ont pu de l’humanité, à savoir quelques représentants et les ont tenus en sommeil artificiel pendant deux siècles et demi, le temps de les étudier et de nettoyer la planète Terre pour la rendre à nouveau habitable. Désormais, ils ont besoin de Lilith pour éveiller d’autres humains et les préparer à retourner sur Terre pour la repeupler. Mais la survie a un prix : la perte de leur humanité. Les Oankalai sont une espèce complexe et totalement étrangère (je vous laisse le loisir de la découvrir), dont la technologie est entièrement basée sur une maitrise avancée de la biochimie. Le vaisseau interstellaire à bord duquel ils se trouvent est un être vivant*, proche du végétal. Le mode de survie des Oankali en tant qu’espèce repose sur un échange d’ADN avec les autres espèces rencontrées dans l’univers. Le troc proposé à l’humanité implique que les enfants de ces derniers ne seront plus totalement humains et pas totalement Oankali, mais une espèce hybride.

Mais le deal se fait en l’absence totale de libre arbitre. Il est contraint. Les humains sont sous la domination, quand bien même bienveillante, des Oankali et n’ont jamais le choix. Dominés, ils sont manipulés chimiquement, sensoriellement, émotionnellement et physiquement, voire sexuellement, pour se plier aux choix des dominants.  Pour Lilith se sera « apprendre et fuir ».

Thématique récurrente chez Octavia E. Butler, L’Aube est un roman sur la complexité des relations de domination, et une exploration de l’humanité sous contrainte. Et comme toujours chez l’autrice, l’humanité n’est jamais belle à voir. L’autrice explore à la fois les relations inter-espèces mais aussi, au sein de l’humanité, les rapports de pouvoir, les relations entre hommes et femmes, la sexualité et la procréation, le consentement et le rapport au corps, l’influence du biologique et l’identité. Le mot important ici est « complexité ». Je ne sais plus qui disait que l’intelligence est la capacité à concevoir la complexité. Cet aphorisme pourrait servir à définir les écrits d’Octavia E. Butler. L’Aube est un roman bourré d’intelligence. Je disais récemment que ce qui me frappe chez l’autrice est sa faculté à dire simplement des choses dont on perçoit très clairement qu’elle les a longuement réfléchies avant de les coucher sur papier. Telle une excellente vulgarisatrice de sa propre pensée.

Octavia E. Butler est une autrice essentielle et L’Aube est un roman passionnant de bout en bout, qui ne verse dans aucune facilité et révèle des surprises à chaque tournant. J’attends fébrilement la suite.

*Parenthèse historique : il est à noter que l’un des premiers auteurs de science-fiction à avoir imaginé des vaisseaux interstellaires vivants est l’auteur et éditeur français Gérard Klein avec les ubionastes dans la nouvelle Jonas (1966) qui revisite dans un futur lointain le mythe biblique. Le tout premier a été Robert Sheckley dans la nouvelle Specialist (1953) récemment publiée sous le titre Les Spécialisés dans le recueil Le Temps des retrouvailles (2022) paru chez Argyll. Plus proches de nous, on peut citer les faucons de l’Aube de la nuit chez Peter Hamilton, les mindships dans l’univers de Xuya d’Aliette de Bodard, ou encore les vaisseaux-monde de Kameron Hurley dans Les Etoiles sont légion.


D’autres avis : De l’autre côté des livres, Quoi de neuf sur ma pile, Le Nocher des livres, Anudar,


  • Titre : L’Aube
  • Série : Xenogenesis 1/3
  • Autrice : Octavia E. Butler
  • Traduction : (Anglais US) Jessica Shapiro
  • Publication : 27 octobre 2022, Le Diable Vauvert
  • Nombre de pages : 432
  • Support : papier et numérique

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Les Flibustiers de la mer chimique – Marguerite Imbert

Par : FeydRautha
12 septembre 2022 à 13:02

Quelle excellente surprise que ce livre ! Les Flibustiers de la mer chimique, à paraître chez Albin Michel Imaginaire le 28 septembre, est le deuxième roman écrit par Marguerite Imbert, après Qu’allons-nous faire de ces jours qui s’annoncent ? publié en février 2021 chez Albin Michel. Ce dernier, que je n’ai pas lu, est un roman contemporain ayant pour cadre l’évacuation de la ZAD de Notre Dame des Landes. Les Flibustiers de la mer chimique est donc la première incursion de l’autrice dans le domaine de la science-fiction, mais les thématiques abordées restent proches puisqu’il est ici question d’écologie, ou plutôt de désastre écologique, et de luttes individuelles et collectives dans le but de créer une nouvelle société. Avec un twist balancé dès l’incipit du roman : « Je ne crois pas que l’apocalypse soit nécessairement une chose triste ». Ces quelques mots d’ouverture, le titre du roman et l’illustration de couverture imaginée par Sparth, annoncent la couleur : dans le genre post-apocalyptique, Marguerite Imbert fait tout à l’envers. Et c’est précisément de là que vient la surprise et la joie de cette lecture.

Quelle qu’en soit la date exacte, ce futur est proche, beaucoup trop proche. Mise au pied du mur par le réchauffement climatique, la montée brutale du niveau des océans, les atteintes répétées aux écosystèmes et la pollution généralisée de la terre, de l’air et de l’eau, l’humanité a continué à déconner comme si de rien n’était. Ce fut donc l’hécatombe – dont nous n’apprendrons la nature exacte qu’à la fin du roman – et en quelques jours, huit milliards d’individus s’en sont partis retrouver leur créateur. Un bon paquet d’années plus tard, la planète est ravagée, les océans ne sont plus que des mers chimiques acides et les terres sont en piteux état. On estime tout au plus à un million le nombre de survivants. Un peu partout, des clans se sont formés, se sont battus, des guerres de tribus ont éclaté et des alliances ont été formées. L’heure est à la survie dans un marasme mondialisé où les médicaments et les drogues servent de monnaie d’échange, où les technologies du monde d’avant sont recherchées puisqu’il n’y a plus personne pour en créer de nouvelles, où les transhumains sont autant pourchassés que jalousés, et dans lequel les animaux qui ont survécu ont mutés. Des hordes de chiens intelligents parcourent les continents en exterminant ce qui reste de l’humanité dispersée et, dans les océans, les poulpes, requins ou autres bestioles, sont devenus des géants plus dangereux encore que les eaux mortifères dans lesquelles ils pataugent.

« Je ne sais pas vous, mais moi je me sens jugée. Je sais que nous nous sentions coupables autrefois. Je n’ai pas inventé la honte, encore que j’en serais bien capable. Quand le gouvernement de France lançait ses escadrons par douzaine pour expulser les écolos des sites qu’ils voulaient vendre ou exploiter, les militants criaient : la nature déteste les flics ! Ils passaient à côté de la vérité. La vérité, c’est que la nature déteste la race humaine. »

L’histoire se construit en deux arcs narratifs, qui éventuellement se rejoindront. Le premier a pour personnage principal et narrateur Ismaël. Naturaliste un peu trop âgé et dépressif pour se lancer dans ce type d’aventures, il est toutefois envoyé par la Métareine de Rome en mission. À la suite d’un naufrage, il est fait prisonnier avec ses deux compagnons par une bande de flibustiers dirigée par Jonathan, un jeune capitaine fantasque, sorte de Jack Sparrow du troisième millénaire, qui écume les mers à bord d’un sous-marin nucléaire retapé et accompagné de trois poulpes géants héroïnomanes. Le second arc a pour personnage Alba, jeune femme isolée du monde et éduquée depuis son plus jeune âge à être une Graffeuse, c’est-à-dire une mémoire des connaissances humaines contenues dans les livres, pour les restituer sous forme de fresques. Bien trop jeune et sans expérience de la vie, elle possède d’immenses connaissances théoriques qu’elle ne sait ni hiérarchiser ni confronter à la réalité du monde. Et parfois tout se mélange un peu dans sa tête, surtout qu’elle a clairement une araignée au plafond. Elle est enlevée par les armées de la Métareine de Rome qui la veut à ses côtés. Les Flibustiers de la mer chimique fait le récit des aventures dans lesquelles ces deux personnages vont être entraînés au gré des rencontres qu’ils vont faire chacun de leur côté.

« Le monde est bourré de gens qui luttent et se donnent du mal pour parvenir à leurs fins. Mais certains d’entre nous vagabondent et dansent plus qu’ils n’avancent. Ils les surpasseront toujours sans effort. »

Si l’univers décrit par Marguerite Imbert ressemble aux meilleurs cauchemars de Peter Watts, l’autrice prend le contrepied de la déprime. Le roman assume pleinement sa part sombre, et à l’occasion va gratter dans les plaies, mais l’autrice n’a aucunement l’intention de vous faire sauter par la fenêtre de manière prématurée. Elle instille dans son roman une bonne dose d’humour totalement irrévérencieux et débridé qui sans cesse, en arrière-plan, pointe les errances et les erreurs de l’humanité. Et de ce côté, elle tape large, n’épargnant rien ni personne. À travers une galerie de personnages hauts en couleur, elle illustre un catalogue d’attitudes, probables ou pas, face à l’extinction, depuis ceux qui la souhaitent à ceux qui croient encore à la possibilité d’un avenir. Parmi ceux-là, certains œuvrent, chacun à leur manière, s’attribuent des rôles, se dotent d’une mystique, au risque de reproduire invariablement les erreurs du passé. Jonathan, imprévisible, cruel et joyeux, assume lui totalement la ligne « foutus pour foutus, autant viser le feu d’artifice ». Alba, engoncée dans ses connaissances livresques et ses certitudes, est involontairement comique (et cela donne lieu à des pages très drôles) mais aussi terriblement dramatique. Elle incarne une humanité toute jeune, quasiment une intelligence artificielle sans expérience ni regard critique, qui aborderait l’Histoire sans aucune nuance ni compréhension des liens de cause à effet. Comme si tout cela n’avait finalement aucun sens.

Tragi-comédie post-apocalyptique autant que satire moraliste, Les Flibustiers de la mer chimique de Marguerite Imbert est un roman débridé, original, effervescent et totalement barré. Un dernier plaisir de lecture avant la fin du monde.


D’autres avis chez : Le Nocher des livres, Gromovar, Weirdaholic, Le Dragon galactique, Au Pays des cave trolls, Les blablas de TachanFeygirlSometimes a book, Ombrebones,


  • Titre : Les Flibustiers de la mer chimique
  • Autrice : Marguerite Imbert
  • Publication : 28 septembre 2022 chez Albin Michel Imaginaire
  • Nombre de pages : 464
  • Support : papier et numérique

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